Extraits des Affiches du Poitou

Pièces d'or

AVIS DIVERS
On a trouvé il y a quelques semaines, en creusant dans un champ, au village de la Cluzaudiere, paroisse de St Martin d'Anché, entre Vivône et Couhé, une vingtaine de pieces d'or, de deux especes seulement ; l'une est un Noble Henri, roi d'Angleterre, & pesant 24 #. On la qualifoit anciennement, du poids de cinq deniers dix grains trebuchant, pour cent six sols tournois. On sait que les Anglois ont été long-temps maîtres de ces Provinces. L'autre est une monnoye Françoise, d'un de nos Rois, du nom de Charles, & pese 12#, c'est un écu vieux à la couronne, qualifié autrefois, du poids de trois deniers trebuchants pour soixante sols.

Affiches du Poitou, n° 24, du 17 Juin 1773, page 96

Jument volée

AVIS DIVERS
Le Mardi 1 de ce mois, il fut exposé en vente, à la foire de Civray, par un petit homme qui a les doigts de la main gauche coupés, & se dit être de Ville-Jesus, près d'Aigre, une jument blanche, qui a une marque très-distinctive au bout du nez, agée de 7 à 8 ans, ayant une selle à siege de cuir recouvert d'un autre siege de peau jaune piqué, sangles & licol de cuir. On soupçonne que cette jument a été volée. S'ad. à M. le Procureur du Roi, à Civray.
Affiches du Poitou, n° 24, du 17 Juin 1773, page 96
Commentaire : Il doit s'agir d'un apprenti voleur, n'ayant eu, jusqu'à maintenant que les doigts coupés, car un voleur patenté aurait
eu la main entière coupée.

Inscription romaine ARCHÉOLOGIE Chef-boutonne ; Brioux

Lettre écrite des environs de Chefboutonne.
Il est souvent arrivé qu'une Inscription isolée, une Médaille antique, ont servi à fixer les idées sur un point douteux de l'Histoire. Ce principe a engagé Grater, & d'autres laborieux antiquaires, à former des recueils d'inscriptions dans lesquels ils en ont admis quelques-unes qui ne paroissoient devoir être d'aucune utilité, mais qui peuvent, à l'occasion, servir à établir un fait, attester un usage, ou confirmer une date importante. Ainsi les Amateurs de l'antiquité ne négligent rien de ces sortes de Monuments quelques mutilés qu'ils soient, quelque peu de lumieres qu'ils promettent. Cette raison m'engage, Monsieur, à vous faire parvenir une Inscription Romaine, trouvée sur le couvercle d'un cercueil de pierre nouvellement déterré à Brion, (1) mais contre l'usage ordinaire, sur la partie intérieure du couvercle.
QIVLIUS
QFILIUS TERCETRUS
DOME ARELAT
MIL COH XIIX VOL
HSE
Je la lis ainsi : Quintus IVLIUS Quinti FILIUS TERCETRUS DOMA ARELATensi MILes COHortis XIIX (duodevigesimae) VOLuntariorum Hic Situs Est. Le mot Tercetrus m'est inconnu ; le Pere Hardoin qui croyoit que toutes les lettres des inscriptions étoien initiales, auroit trouvé dans ce mot tout ce qu'il auroit voulu. Domo Arelatensi, ces deux mots indiquent peut-être que Julius étoit d'Arles, Colonie Romaine établie par Jules César, qui y envoya les vétérans de la VI Légion, sous la conduite de Claude Tibère Néron, Pere de l'Empereur Tibere. Cette Ville qui eut le droit appellé Jus quiritium, s'appella depuis, Colonia Julio Arelate, ou simplement, Arelate Sextanorum. Le reste de l'Inscription exprime que ce Quintus Julius étoit Soldat de la dix-huitieme Cohorte des volontaires. On sait que la Légion n'étoit que de dix Cohortes ; mais il y avoit des Cohortes étrangeres, dont le nombre n'étoit pas fixé, & dont chacune étoit désignée par son ordre numéral, auquel on ajoutoit quelquefois le nom de la nation dont elle étoit tirée, Secunda Lusitanorum, Duodecima Alpinorum. Il y avoit aussi des Cohortes Romaines séparées des Légions, & sur-tou beaucoup de Cohortes de volontaires, qui se distinguoient seulement par un nom de nombre. Vous voyez, M., que j'ai expliqué de cette Inscription ce qui est le plus facile, je laisse aux Savants le mot Tercetrus ; c'est à eux de décider, si c'est un seul mot, ou bien l'assemblage de deux ou trois mots, & à nous en donner l'interprétation. J. C. D. C.
(1) Briou est un lieu ancien, marqué dans l'Itinéraire d'Antonin, & sur les Cartes de Mr d'Anville, sous le nom de Brigiosum, sur la route de Mediolanum (Saintes) à Limonum (Poitiers) on y déterre souvent des cercueils de pierre ; on a trouvé dans quelques-uns des lacrymatoires, d'autres des pieces de monnoye, mais dont les plus anciennes ne remontent pas plus haut que deux siecles.
ADP, n° 24, du 17 juin 1773, page 94

Les monnaies de Melle ARCHÉOLOGIE Melle

Lettre écrite du Château de …, près Vivône.
Les différentes Monnoyes ou Médailles trouvées à Melle, n'y ont point été frappées comme on paroit le soupçonner, à l'occasion de quelque monument ou évenement relatif à cette ville, & encore moins dans le cours de quelque voyage. Si d'un côté d'une de ces pieces, on lit Metullo, c'est que la ville de Melle étoit alors une de celle où l'on frappoit de la Monnoye pour le Prince ; c'est ce que l'on voit par une Ordonnance de Charles II, dit le Chauve, Roi de France, du premier Juillet de l'an 866, où on lit plusieurs choses relatives à la Monnoye qui avoit cours alors, & qui nous fait connoître les seuls endroits où il étoit permis de la fabriquer. Les lieux désignés sont, le Palais Quentovie, dans le Ponthieu, Rouen, Rheims, Sens, Paris, Orléans, Châlons-sur-Sône, Melle en Poitou & Narbonne. Il ne paroît pas douteurx que cette piece ait été frappée sous ce Regne ; le peu de Monnoye qui nous en reste, nous représente presque toujours une croix, ou plusieurs croix doubles ou simples, avec des caracteres quelquefois inconnus, des points, des O, & toujours le nom de la ville où elle étoit fabriquée, & presque toujours les croix simples ou doubles entre un A & un O, signifiant Alpha & Omega, qui sont le commencement & la fin de tout.
ADP, n° 24, du 17 juin 1773, page 95

A propos de boisseaux

SOCIÉTÉ
Thomas, un de ces docteurs de village, se trouva derniérement dans la chambre de son Curé, le hasard lui fit tomber sous les ieux, une de vos Feuilles ; quelle fut sa surprise, ou plutôt sa joie, d'y lire que toutes les rentes stipulées mesure de Poitiers, ne devoient être payées qu'à celle du Pin. Ne se sentant pas d'aise, il court précipitamment chez lui, & dans son enthousiasme, dit à sa femme ; ventreguiene la bonne journée que j'ons fait aujourd'hui, je venons de gagner vingt boisseaux de froment, & je n'en donnerons plus que quatorze au lieu de seize que je payons tous les ans à notre Seigneur. Ah dame, voilà ce que c'est que de savoir lire !... Je vous félicite, lui dit Jacqueline, s'ils sont bien à vous... qu'appeles-tu, s'ils sont bien à moi ? me prends-tu pour un fripon ? vraiment oui ils sont à moi, puisqu'on l'a décidé ainsi... Quoi ! aviez vous un procès ?... marguiene, tu n'as donc gueres d'esprit aujourd'hui ; si j'avois un procès, ne le saurois-tu pas ? Ecoutes-donc que je te fasse entendre ; n'y a-t-il pas dix ans que je payons à notre Seigneur seize boisseaux de froment mesure du minage ? he ben ! je ne payerons plus qu'à la mesure du Pin ; par conséquent notre Seigneur nous restituera vingt boisseaux, & je n'en payerons plus que 14 tous les ans, m'entends-tu ?... helas ! que trop, lui dit la bonne Jacqueline. Je ne crois pas que notre Seigneur soit dans le cas de la restitution ni de la réduction. Mon pere n'a t il pas acheté notre terrain à cette condition ? ne sommes nous pas obligés par nos partages à servir la rente ainsi qu'elle l'a toujours été ? je me ferois conscience... bon, avec ta conscience, tu me feras ben mourir de faim ; ten, je m'en vais trouver Guillot qui doit autant que moi, & je verrons si notre Seigneur voudra plaider : oh ! il s'en donnera ben de garde, car il seroit sûr de perdre son procès. Thomas & Guillot, regardant leur découverte comme une bonne fortune, s'en vont fièrement au Château ; Jacqueline les suit de près ; lorsqu'ils eurent conté leur chance au Seigneur ; point de procès, leur dit-il, un moment d'attention ; vos prédecesseurs n'ont-ils pas toujours payé au boisseau du minage , je ne veux rien à vous, mes enfans ; faites arpenter le terrain, & vous verrez si vous pouver l'emblaver, suivant l'usage commun, au boisseau du Pin. Notre brave Jacqueline entre à ces derniers mots qu'elle avoit entendus, & avec sa franchise ordinaire, soyez de bonne foi, dit-elle à Thomas & à Guillot ; mon Seigneur a raison ; n'est-il pas vrai que lorsque vous levez vos grains pour les semences, vous les mesurez toujours au boisseau du minage ? pourquoi ne voulez-vous donc pas payer de ce boisseau, puisque c'est lui qui fait votre regle pour ensemencer le terrain sujet à la rente. Thomas regardant Guillot, il faut avouer, dit-il tout émerveillé, qu'il y a des femmes qui ont l'esprit ben pénétrant ; la nôtre a entendu cela du premier mot ; cela me confond. Ça, Jacqueline, j'allions sans toi avoir un procès, je l'aurions perdu, & on se seroit mocqué de nous ; pardon, mon bon Monsieur, je reconoissons notre faute ; oui, je vous payerons à la mesure du minage, car il est ben certain que c'est à ce boisseau que je mesurons nos semences, & que je n'en avons jamais de reste. Cette décision a été sue de tout le canton ; elle a paru juste, chacun s'y est soumis : & c'est ainsi que si vouloit s'entendre, on termineroit bien des procès. (A Poitiers, le 13 Mai 1774) Signé, Babinet Dupeux, Trésorier de France, Auteur de la Lettre insérée dans la Feuille du 3 Juin 1773, N° 22.
ADP, n° 24, du 16 juin 1774, page 102

Les Vautours

ZOOLOGIE Verrières
AVIS DIVERS
Des Paysans de Verrieres, à 5 lieues de Poitiers, ont montré il y a quelques jours, en cette ville, un Vautour vivant, qui a été pris entre St-Secondin & Bouresse; il y en avoit deux qui s'abatirent à la fois sur un troupeau d'oisons ; un paysan acourut avec un fusil, & en blessa un ; l'autre s'envola & n'a pas reparu. Quelques persones ont pensé que c'étoit un Aigle plutôt qu'un Vautour ; on sait qu'il y a plusieurs oiseaux de l'une & de l'autre espece, dont les Naturalistes font différentes classes, à cause des nuances diverses qui les distinguent : quoiqu'il en soit, c'est toujours une observation curieuse, d'avoir vu un Aigle ou un Vautour dans ces Provinces, au centre du Royaume, dans un pays plat, & loin des montagnes. Il est vrai que le Canton ou celui-ci a été prix, est très-couvert de bois ; il seroit très-fâcheux que ces oiseaux s'y multipliassent ; c'est bien assez des loups qui nous font en tout temps beaucoup de mal.
ADP, n° 24, du 16 juin 1774, page 104

Le faux Perruquier MŒURS

ANECDOTE.
Vous avez sans doute, M., lu Chinki, Histoire Conchinoise de M. l'Abbé Coyer, Ouvrage ingénieux, dont le but particulier est de faire sentir l'abus des Jurandes & des Privilèges exclusifs des Corps de Métiers dans nos villes. Plusieurs écrits économiques sont remplis de critiques fines, de plaintes raisonées & de réclamations judicieuses sur le même sujet. Il seroit difficile de se défendre de la conviction qu'ils portent dans tous les esprits. Je n'entreprendrai point de rien ajouter aux démonstrations de tant d'Ecrivains, défenseurs citoyens & courageux de la liberté naturele dont chaque homme dans toute société doit jouir pour exercer ses talens utiles ou agréables, dès qu'ils sont honêtes. Je me bornerai, M., à vous raconter une histoire arivée il y a environ deux ans dans une ville du Poitou. Sa singularité poura divertir vos lecteurs, & fera sentir en même temps l'abus ridicule des privilèges exclusifs. Un jeune homme qui avoit été garçon Perruquier, se fit laquais, ensuite laissa son Maître, & resta dans la même ville, ce qu'on appelle `Chamberlan', c'est-à-dire, exerçant clandestinement son talent de Perruquier, à l'insu des Maîtres Perruquiers, qui cependant en furent bientôt instruits, & résolurent de le surprendre ; mais il prenoit si bien ses précautions, auxquelles ses Pratiques vouloient bien se prêter, qu'il falloit lui tendre un piège ; voilà comme on s'y prit : on séduit un autre jeune homme, auquel le Lieutenant de la Communauté des Perruquiers, car les chefs de cette Corporation prenent aussi de beaux titres, prête un habit de campagne assez leste, un chapeau & des botes ; ce costume lui donne l'air d'un laquais ; on le charge d'aller trouver ce chambrelan, de lui dire qu'il est domestique d'un parent du Maître de le Chambrelan avoit servi autrefois, & de venir friser ce voyageur à telle Auberge qu'on indique ; le Chambrelan s'y rend un instant après, mais se défiant toujours de M. le Lieutenant des Perruquiers & Compagnie, qu'il savoit être depuis long-temps à ses trousses pour tâcher de le surprendre en flagrant délit, il s'y rend sans appareil ni outils de son métier, pour faire sa reconoissance avant de se livrer à un inconnu. Il trouve en effet le prétendu laquais qui lui dit que son Maître est sorti, mais qu'il va rentrer, & qui le prie de lui donner en atendant, à lui Laquais, un coup de peigne ; le Chambrelan soupçona de la manœuvre, & pour s'en assurer, il protesta qu'on se méprenoit, qu'il n'étoit point Perruquier. Le prétendu Laquais, quoique séduit & payé pour soutenir sa fourberie, finit par en convenir, & d'avouer au Chambrelan qu'il faisoit bien, que dans ce moment il y avoit auprès de l'Auberge trois Huissiers qui y seroient entrés dès qu'ils auroient pu soupçoner qu'il étoit en fonction, pour l'arrêter & le conduire en prison. Le Laquais postiche, ayant des remors de sa foiblesse, est le premier à proposer au Chambrelan de se venger ensemble des Perruquiers. Ils commandent sur le champ dans l'Auberge un bon repas dont le travestissement doit répondre. Les Huissiers, qui étoient entrés & qui jugerent bien qu'ils auroient de la peine à se faire payer d'une course inutile, se mettent de la partie ; ils mangèrent ensemble la valeur de l'habit, du chapeau & des botes de M. le Lieutenant des Perruquiers, qui n'osa pas les réclamer. Cette aventure, dont on sut bientôt toutes les circonstances, fit beaucoup rire tous les habitans. On se moqua des Perruquiers ; ils le méritoient bien.
ADP, n° 24, du 15 juin 1775, page 103