Extraits des Affiches du Poitou
Montembœuf GÉOGRAPHIE
Mémoire sur Montembœuf.
Ce bourg du Haut-Poitou, & éloigné de la Rochefoucault de trois lieues & demie, est en lui-même peu considérable ; mais il y a dans la campagne une quantité de villages & hameaux, qui font que la paroisse, fort étendue, est extrêmement peuplée. On doit attribuer cette population, non pas à la bonté du terrain, puisqu'il y est naturèlement peu fertile, ainsi qu'on le dira ci-après, mais au privilège fort peu commun dont jouissent les habitans, d'être exempts de toutes impositions de Taille & autres subsides. Ils ne payent uniquement que cinq sols par feu, & autres cinq sols pour droit de guet & garde au Château de Civray. Le Seigneur en gagiste dudit Civray jouit de ces dix sols : de sorte que les habitans de Montembœuf ne payent exactement rien au Roi. Ils ont été confirmés dans ce privilège, dont on attribue le motif à des services rendus à l'Etat dans des temps de guerre, par des Lettres patentes, du mois de Septembre 1651, & par plusieurs Arrêts rendus antérieurement à la Cour des Aides. Ces Lettres patentes seront copiées à la suite de ce mémoire.
La terre de Montembœuf, apartenant aujourd'hui à M. Gros-Delage, a le titre de Châtelenie ; & fait partie de la Province de Poitou, quoiqu'enclavée dans l'Angoumois. Les appels de cette Justice, ainsi que de celle de Vitrac, bourg voisin de Montembœuf & qui jouit des mêmes privilèges, sont portés à la Sénéchaussée de Civray. Si ces paroisses étoient imposées à la Taille, le pays deviendroit sans culture & sans habitans. La population & la culture ne s'y soutienent qu'à cause de la franchise. Le terrain de Montembœuf est, comme on l'a déjà dit, très-peu fertile, & ne raporte pas beaucoup de blé ; la majeure partie est couverte de Châtaigners qui produisent assez abondament. Sans cette ressource, le peuple seroit à plaindre ; ce fruit lui sert de nourriture pendant une partie de l'année. Il sait même le conserver, soit en le faisant sécher, soit en le tenant dans des lieux frais, pour une saison où il est rare d'en voir ailleurs. Le besoin donne de l'industrie pour la conservation des subsistances ; on a sur-tout dans ce pays une façon d'apprêter les Châtaignes, qui leur donne un goût exquis ; j'en ai mangé sur le lieu même. On les fait cuire dans des pots de fer, dans lesquels on les tourne avec deux morceaux de bois en forme de tenailles, après que l'eau est devenue tiede. On leur ôte par cette manœuvre la seconde peau qu'on n'avoit pu leur enlever en les dépouillant de la premiere ; on les fait ensuite bouillir jusqu'à parfaite cuisson ; on jete l'eau ; après quoi on ferme le pot avec un paquet de linge, & on les laisse sécher pendant une demi-heure au moins auprès du feu. (La suite à un autre Ordinaire.)
ADP, n° 23, du 8 juin 1775, page 95
Suite du Mémoire sur Montembœuf.
On trouve cependant de distance en distance quelques champs bien cultivés, que le travail de l'engrais ont rendus propres à produire du froment, du seigle, & du blé d'Espagne, ou maïs ; mais on seme en plus grande quantité du blé noir ou sarrasin, qui y vient abondament, & dont le peuple fait du pain en le mêlant avec d'autre blé. Les pauvres aiment sur-tout à en manger la farine délayée dans de l'eau & cuite dans la poële. Les pommes de terre y sont cultivées en grand depuis quelques années ; quelques habitans en ramassent jusqu'à 80 pleins sacs ; ce qui paroît extraordinaire dans une Province où cette culture n'est pas encore fort connue quoiqu'elle soit d'une grande utilité. On les y seme en Avril dans les endroits les plus aérés, & à deux pieds de distance les unes des autres ; on les fume en même temps ; on les sarcle en Juin ; on les chausse en Août, & on les recueille après la St Michel. Je crois qu'ils ont trouvé la vraie maniere de les reproduire ; ils n'ignorent que la façon d'en faire du pain ; ce seroit leur rendre un grand service que de la leur apprendre. (Nous promettons d'en indiquer incessamment les procédés dans nos Feuilles) tout l'usage qu'ils font donc des pommes de terre, c'est d'en faire manger beaucoup aux bestiaux, & de n'en manger eux-mêmes que la moindre partie, sur-tout les gens un peu aisés. Ils les font bouillir & ensuite frire dans la poële. Les plus riches y ajoutent quelques œufs, & ils assurent que ce met est d'un bon goût. On seme aussi dans ce canton en plein champ une espece de rave qui devient aussi large qu'une assiete, mais qui est fort courte ; elle n'exige aucune culture, vient dans toute sorte de terrain, & fourni une exellente nouriture pour les hommes & pour les bestiaux. C'est là vraisemblablement la rave ou navet que le paysan Limousin appele Rabiole. Les habitans de Montembœuf font aussi avec quelque avantage le commerce des bestiaux ; ils élevent un grand nombre de cochons & sur-tout des veaux qu'ils vont vendre à la Rochefoucault, à Sard près Chabanais, & à Vitrac. (La suite à un autre Ordinaire.)
ADP, n° 24, du 15 juin 1775, page 99
Suite du Mémoire sur Montembœuf.
Les terres peu fertiles dans le pays plat, le sont extrêmement pour la production du foin sur les montages & dans les gorges, dont ce pays est singulièrement coupé. Les fontaines sont fort communes dans ces gorges ; & comme la pente est très-rapide & très-longue, les habitans ménagent le cours de l'eau avec tant d'adresse qu'ils lui font souvent faire le tour des coteaux, qui, s'en trouvant par-là arosés, produisent du foin en abondance, & forment par leur verdure, presque continuele, le Paysage le plus riant. Les ruisseaux qui ont parcouru ces coteaux, descendant ensuite avec rapidité à une distance considérable de leur source, forment par-là des especes de Cascades qui augmentent encore aux ieux du voyageur curieux & surpris, le charme qu'il trouve à considérer ces lieu. Pour vous donner une idée de la pente rapide de ces gorges, je dois vous dire qu'un ruisseau qui prend sa source au dessu de Mazeroles, fait tourner dans l'espace d'une lieue douze moulins, dont huit dans l'espace d'une demi-lieue ; la majeure partie a deux roues, quelques-uns à trois ; toutes ces roues sont à Cassetes. Je vous envoie la liste de ces moulins, avec une espece de description particulier du local. Le canal du ruisseau est très-peu profond & très-peu large ; il ne doit cette force qu'à sa rapidité & à l'industrie des habitans, qui ont su mettre à profit le peu de largeur de la gorge pour former un étang ou écluse, quelquefois deux, devant chaque moulin. Le ruisseau s'appele Rivaillon ; il prend sa source au dessous du grand chemin de la Rochefoucault à Oradour-sur-Vayres, à mai gauche, où il nait d'une petite fontaine. Tous ces moulins & écluses se succedent, depuis 100 jusqu'à 500 toises les uns des autres. Je nommerai entr'autres, dans l'ordre qu'ils se succedent, les moulins de Mazeroles, Fonbelonne, de Broche, de Bossac, Machureau, Michelet, (Celui-ci est prétendu banal par le Seigneur de Mont-embœuf, actuélement en Instance à ce sujet avec ses Vassaux, au Parlement de Paris) Puiravaud, la Maillerie, Vitrac, Samouan, St Vincent, & la Peyrelle : d'où le dit ruisseau se jette, à un quart de lieue, dans celui de Bonniere, vis-à-vis le Château de Chasseneuil. (La suite à un autre Ordinaire.)
ADP, n° 26, du 29 juin 1775, page 110
Suite du Mémoire sur Montembœuf.
On trouve parmi ces moulins, deux petites forges à fer, où il ne se fait point de fonte, on en tire des forges voisines, souvent même on y met en œuvre de vieux pots cassés qu'on ramasse à bon marché dans la contrée, de vieux clous, de vieilles férailles, des grains de fonte méprisés ailleurs. Toutes ces matieres sont mises en bâres dans ces deux forges, & deviennent une nouvele preuve de l'industrie des habitans. On trouve encore dans ces moulins une roue du méchanisme le plus simple, qui fait tourner une meule à huile avec une rapidité & une effet surprenans. Je ne vous dis rien des Pierres Luisantes & Feuilletées qui se trouvent dans la paroisse de Montembœuf, puisque vous en avez déjà parlé, (Aff. du 18 Août 1774 : ) mais je dois vous observer qu'il y a des endroits où la terre semble prendre le feuilleté de ces pierres, & s'y transmuer en quelque sorte ; cependant au moindre choce elle tombe en poussiere. J'ai vu avec étonement au milieu des champs & des Châtaigneraies, une quantité de grôs cailloux blancs dont quelques uns ont la forme d'une cuve. Je ne sais s'ils ne seroient point de quelque usage dans les verreries à cause de leur grande blancheur &, pour ainsi dire, de leur transparence. Une chose qui m'a étoné, c'est que la paroisse de Vitrac qui est, comme je l'ai déjà dit, limitrophe de celle de Montembœuf, ne lui ressemble pas beaucoup, du moins autant qu'elle le devroit, pour le terrain. Les pierres y sont fort blanches, & les carrieres où en en trouve de très-beaux bancs propres à tailler & à bâtir, y sont très-communes, tandis que dans l'autre elles sont presque noires ou grisâtres, & très-peu propres même pour le moëlon à cause de leur feuilleté. (La suite à un autre Ordinaire.)
ADP, n° 27, du 6 juillet 1775, page 114
Fin du Mémoire sur Montembœuf.
Au surplus, je me suis trompé, en disant que les habitans ne payoient rien au Roi. Ils payent le Vingtieme & la Capitation ; cette Capitation est même légere, par considération pour leur anciene franchise & par la stérilité de leur territoire. On regardoit, il y a 15 à 20 ans, leurs Privilèges d'exemption comme si étendus, qu'on ne les assujétissoit même pas à la Milice : ils y ont été assujétis depuis. Une particularité encore remarquable, c'est que le langage de ces habitans est différent du langage de ceux qui les environent. Il est extrêmement bref, & presque inintelligible pour ceux qui ne sont pas du pays ; il a un peu de raport avec le Périgourdin sans être cependant le même. La cause de cette singularité seroit curieuse à rechercher. Il est possible que cette contrée soit habitée par les descendans d'une Colonie sortie autrefois du Périgord ; & c'est peut-être à cette circonstance que tient l'origine de leurs Privilèges, si on pouvoit en découvrir l'époque précise. Il y a à Montembœuf 21 hameaux ou villages, & 366 feux. Il y eut en 1773, 42 baptêmes, dont 19 garçons ; 45 enterremens, dont 15 du sexe masculin ; & 13 mariages. Il y a eu en 1774, le même nombre de naissances, dont 21 garçons ; 28 morts, dont 13 du sexe masculin, & 16 mariages. La paroisse de Vitrac est composée de 34 hameaux ou villages & de 324 feux. Il y eut en 1773, 44 baptêmes, dont 28 garçons ; 57 morts, dont 30 du sexe masculin, & 15 mariages. Il y eut en 1774, 60 naissances, dont 32 garçons ; 37 morts, dont 22 du sexe masculin, & 6 mariages. La paroisse des Pains qui avoisine Montembœuf & Vitrac, & une enclave dans celle de Mestric, jouissent des mêmes Privileges & relevent également de la Sénéchaussée de Civray. Il y a en totalité 773 feux & 69 hameaux, y compris les Pains & Mestric, qui jouissent de l'exemption. On devroit vous donner quelques notes sur la paroisse de Benest, près Charroux, afranchie de la Taille par Charlemagne, & où l'on fait de si belle poterie. Je sais seulement qu'à la mort de chaque Roi, on fait à Benest, pendant 40 jours, un Service où tous les Prêtres qui se présentent sont reçus & payés des deniers des habitans, qui pour cela font un rôle. On y fait encore tous les ans un Service pour Charlemagne. Je ne sais si je vous ai fait observer la singularité qui se rencontre à l'égard de ce Prince. Dans quelques endroits on l'invoque comme un Saint : dans d'autres on lui fait des Services.
ADP, n° 28, du 13 juillet 1775, page 118
Addition au Mémoire sur Montembeuf.
Nous avons donné dans nos Feuilles des 8, 15, 29 Juin, 6 & 13 Juillet 1775, un Mémoire aussi curieux qu'intéressant sur la paroisse de Montembeuf, de l'Election de Confolens, en la Généralité de Poitiers, quoiqu'enclavée dans la Province d'Angoumois. Nous promîmes alors de faire connoître des Lettres Patentes que nous citâmes, données au mois de Septembre 1651, & confirmatives des Privilèges acordés antérieurement à cette paroisse, & dont jouissent aussi celles de Vitrac, Benest, Biarge & les Pains qui en sont voisines. Voici ces Lettres Patentes, dont nous consignons la copie dans notre Recueil, comme piece justificative dudit Mémoire, & apartenant à l'Histoire du Poitou. Nous donnerons ensuite l'Acte de Notoriété des Officiers de la Sénéchaussée de Sivrai, du 12 Mai précédent, d'après lequel lesdites Lettre Patentes furent rendues.
« LOUIS, par la grace de Dieu, Roi de France et de Navare : à tous présens & à venir, Salut : nos chers & bien amés les Manans & Habitans des Bourgs, Paroisses & Jurisdictions de Montembeuf & Vitrac, en notre Justice de Sivrai, en Poitou, Nous ont fait remontrer que par Lettres Patentes du Roi Jean, du 15 Juillet 1354, & pour les causes y contenues, ils ont été déclarés quites & exempts, eux & leurs prédécesseurs, de toutes Tailles & Impositions en payant cinq sous pour chacun feu & autre cinq sous pour les guet, garde & autre services par eux dus à notre Château & Forteresse de Sivrai, excepté les cas de grandes & urgentes nécessités pour la garde dudit Château ; de laquelle exemption ils ont bien dûment joui jusqu'à présent, même ils ont été maintenus & conservés par divers Arrêts de notre Cour des Aides de Paris, rendus avec les habitans des lieux & villages voisins, prétendans les comprendre aux rôles & impositions, spécialement par Arrêt du 17 Octobre 1634, contradictoirement rendu au profit de François de Livertoux, du village du Breuil, paroisse de Vitrac, contre les habitans de la paroisse de Cherves ; & deux autres Arrêts du 17 Juin 1635 & 11 Février 1636, rendus au profit des habitans du village de Champoutre, Jurisdiction dudit Montembeuf, contre ceux de la paroisse de Massignac, qui les avoient aussi compris dans leurs rôles ; & encore par Jugement de notre amé & féal Conseiller, Maître des Requêtes ordinaire de notre Hôtel, & Intendant de la Justice en la Généralité de Limoges, le feu sieur de Corveron, rendu le 21 Mars 1644, au profit desdits bourgs, paroisses, terres & Jurisdictions de Montembeuf & Vitrac, qui les a déchargé des sommes auxquelles elles avoient été imposées par les Elus d'Angoulême, pour les Tailles, Subsides & autres levées de l'année 1643. Mas parce que lesdits Exposans n'ont point obtenu confirmation dudit Privilège, ils craignent qu'on les voulût ci après troubler en la jouissance d'icelui, s'il ne leur étoit sur ce point pourvu de nos Lettres Patentes, lesquelles ils nous ont très-humblement fait supplier leur vouloir octroyer ». (La suite à l'Ordinaire prochain.)
ADP, n° 45, du 7 novembre 1776, page 181
Fin des Lettres Patentes de 1651, concernant les Paroisses de Montembeuf & Vitrac
« A ces Causes, voulant favorablement traiter lesdits Exposans, & les maintenir & garder aux Privilèges & Exemptions à eux concédés par nosdits Précécesseurs Rois, après avoir fait voir à notre Conseil les Arrêts & autres pieces justificatives de ce que dessus ci atachées sous le Contre-scel de notre Chancélerie ; de notre grâce spéciale, pleine puissance & autorité Royale, avons auxdits Exposans continué & confirmé, & par ces Présentes, signées de notre main, continuons & confirmons ledit Privilège, Exemption & Afranchissement de toute Taille, Subsides & Impositions, en payant cinq sous par chaque feu & autres cinq sous pour guet & garde & autres services par eux dus à notre Château & Forteresse de Sivrai, excepté les cas de grandes & urgentes nécessités pour la garde dudit Château & de la dite Forteresse, pour en jouir par les Exposans, ainsi qu'ils ont ci-devant bien & dûment joui & usé, jouissent & usent encore à présent, pourvu toutes fois que leurs Exemptions & Afranchissemens n'ayent été révoqués par nos Edits, Déclarations & Arrêts. Si donnons en Madement à nos amés & féaux Conseillers les Gens tenant notre Cour des Aides à Paris, & tous autres nos Justiciers qu'il apartiendra, que ces Présentes ils ayent à faire registrer, & du contenu en icelles jouir & user lesdits Exposans, cesser tous troubles & empêchemens à ce contraires. Car tel est notre plaisir, & afin que ce soit chose ferme & stable à toujours, Nous avons fait mettre notre Scel à ces dites Présentes, sauf en autres choses de notre droit, & d'autrui en toutes. Donné à Paris, au mois de Septembre, l'an de grâce mil six cent cinquante-un, & de notre Regne le neuvieme. Signé, LOUIS, par le Roi, de Guenegaud. Registré au Grèfe des Expéditions de la Grand'Chambre de France, le 18 Septembre 1651. »
ADP, n° 46, du 14 novembre 1776, page 186