Extraits du Portefeuille des Dames
Faut pas kafter !
Les lettres qui suivent nous apprennent que c'est une bien mauvaise action de dénoncer, puisque pour la faire, on emprunte le nom d'un autre. (1)
Paris, le 12 thermidor, l'an 7, etc. – Le secrétaire général du Directoire exécutif, au citoyen Duclos, domicilié à Poitiers. – Le Directoire exécutif a reçu, citoyen, la pièce que vous lui avez adressée concernant les mesures à prendre pour éloigner de toutes les places judiciaires et autres, les robins, etc. Je vous préviens que cette affaire a été renvoyée le 11 au ministre de l'intérieur. C'est à ce ministre qu'il faut désormais vous adresser pour obtenir des renseignements ultérieurs sur l'objet dont il s'agit. Salut et fraternité. Signé Lagarde.
Réponse du citoyen Duclos. – Citoyens Directeurs, rien n'égale la surprise que m'a fait éprouver la lecture de la lettre que m'a adressée en votre nom votre secrétaire général le 12 de ce mois ; cette lettre m'annonce que vous avez reçu et renvoyé au ministre de l'intérieur une pièce concernant des mesures à prendre pour éloigner des fonctions judiciaires et autres les robins, etc. Je vous proteste, cit., que je ne vous ai jamais adressé aucune pièce de cette nature ; je partage avec tous les bons citoyens l'attachement qu'ils ont voué à leurs fonctionnaires publics actuels, dont le civisme et les lumières font la gloire de ce département et le désespoir de l'intrigue. Cependant je ne connais dans la commune de Poitiers qu'une autre personne de mon nom, qui se joint à moi pour faire le même aveu. C'est donc encore une nouvelle ruse des méchans (sic) et des ambitieux qui veulent vous tromper et vous engager de retirer votre confiance à ceux qui s'en sont constamment montrés dignes. Salut et respect.
Paris le 24 thermidor an 7, etc. – Le secrétaire général du Directoire exécutif, au citoyen Duclos. – Le Directoire exécutif a reçu, citoyen, la pièce que vous lui avez adressée concernant votre désaveu à une lettre renvoyée au ministre de l'intérieur, relativement à l'éloignement des fonctions publiques, des robins, etc., signée Duclos de Poitiers. Je vous préviens que cette affaire a été renvoyée le 22 au ministre de l'intérieur, etc. Signé Lagarde.
(1) Eloignés de cent lieues de tous les partis, nous ne donnons cela que comme on nous la donné.
Portefeuille des Dames, n° 15, du 30 thermidor an 7, page 1 du suppl. (AD86, PfD du 28 juillet, v. 51)
Les vignes du Seigneur.
TRIBUNAUX
Un vieillard de soixante-dix ans, ancien curé, propriétaire d'un vignoble dans le canton de Jaunay, à deux lieux de son domicile habituel, vendange une de ses vignes le jour du ban ; il finit de bonne heure, et mène le soir ses journaliers dans une autre de ses vignes dont le ban n'ouvrait que le lendemain. Le garde vient ; sur sa première réquisition, le propriétaire fait retirer son monde ; le garde se retire aussi, et sans dresser procès. Sans doute on sollicite cet home, il rédige chez lui le verbal auquel il n'avait même pas songé la veille. Le curé est cité à la police ; à la même audience comparait un garnement qui avait vendangé dans la vigne de son voisin. Ce dernier est condamné à deux jours d'emprisonnement et à un franc d'amende ; le vieillard, à trois jours et trois francs, quoi qu'il eût produit des témoins qui ont attesté qu'il croyait que le ban était ouvert le même jour pour ses deux vignes. Ce citoyen respectable s'est rendu dans les prisons avec le voleur ; il a dû se ressouvenir alors que celui dans le ministère duquel il avait blanchi respecté, périt victime des juifs auprès d'un bandit.
Portefeuille des Dames, n° 4, du 10 brumaire an 8, page 4 du suppl. (AD86, PfD du 1 novembre 1799, v. 13)
Le pendu
NOUVELLES
Un homme a été trouvé pendu à une lieue de cette commune. Les uns disent que sa mort fut son crime ; d'autres pensent qu'il fut celui d'une troupe d'hommes. Ceux qui veulent qu'il se soit homicidé, donnent son malheur une cause déplorable et que la paix seule fera cesser ; ceux qui veulent qu'il soit péri par des mains étrangères, assignent qu'il était blattier. Quelque opinion que l'on puisse porter sur cet événement cruel, on y voit, malgré soi, le crime ou le malheur.
Portefeuille des Dames, n° 4, du 10 brumaire an 8, page 5 du suppl. (AD86, PfD du 1 novembre 1799, v. 17)
Le neveu et la tante à héritage
TRIBUNAL CRIMINEL
Du 12 Brumaire.
Un homme est accusé d'avoir tenté d'assassiner sa tante par ressentiment et vengeance de ce qu'elle avait fait quelque avantage à une nièce. Il y avait pour lui, que personne ne l'avait vu porter les coups, et que la tante, guérie de ses blessures, déclarait qu'elle n'avait point vu celui qui l'avait frappée dans son lit, dans l'obscurité. Il paraissait d'ailleurs que cet homme s'était toujours bien conduit : il avait les meilleurs certificats.
Il y avait contre lui, qu'il avait été trouvé dans la chambre de sa tante au moment où elle jetait les hauts cris, qu'il avait crocheté la porte de la chambre en dedans, et avait refusé d'ouvrir aux parens et voisins qui étaient accourus ; et ce n'était que quand on avait été prêt d'enfoncer la porte, qu'il l'avait ouverte. On avait trouvé la tante baignant dans son sang et ayant des blessures considérables à la tête et sur le corps : le neveu avait même du sang sur sa culotte, et s'était pressé d'en aller changer.
La vieille tante avait fait des confidences ; elle avait dit à un des témoins, qu'elle s'attendait à ne périr que de la main de ce neveu. A un autre témoin, elle l'avait désigné comme auteur du crime et lui avait défendu d'en parler.
Cet homme a été pleinement acquitté par les jurés. On a su que les sept juges du tribunal étaient bien convaincus que l'accusé était coupable et qu'il y avait lieu de lui infliger au moins une peine correctionnelle. D'où peut venir une si grande contrariété dans l'opinion des hommes ? Sur une accusation, tout un tribunal dit oui, et tout un jury dit non. C'est que les jurés, qui pour la plupart viennent pour la première fois remplir ces fonctions, ne sont pas assez pénétrés des principes de la législation actuelle. En vain leur dit-on : Les preuves morales sont suffisantes, si elles opèrent votre conviction du fait ; l'ancienne manière dont on a été si long-temps imbu prévaut. Il faut deux témoins de visu pour condamner ; les preuves morales ne font pas tant d'impression, on est bien convaincu, mais il reste des doutes, et ces doutes retiennent des consciences timorées : comme s'il était possible de trouver des preuves qui ne laissent pas de doutes quand on réfléchit ! Les témoins de visu ne peuvent-ils pas s'être trompés ? Ne peuvent-ils pas déposer par passion ? Et dans tous les cas, quand la loi de la conscience, qui ne trompe pas, dit oui, ne doit-on pas écarter tous les doutes ?
Portefeuille des Dames, n° 6, du 30 brumaire an 8, page 3 du suppl. (AD86, PfD du 1 novembre 1799, v. 55)
Les conscrits réfractaires
TRIBUNAL CRIMINEL
Du 13 Brumaire.
Jugement qui condamne un conscrit, déserteur, et son beau-frère, de la commune de Civrai, à quatre années de fers, pour avoir outragé et pris aux cheveux les gendarmes qui étaient venus chez ce conscrit pour le faire rejoindre. Leur résistance tenait au plan général de nos ennemis, car ces paysans, simples et ignorans, paraissaient très-endoctrinés sur les affaires publiques ; dans leur colère et leurs emportemens contre les gendarmes, suivant leur rapport, ils avaient déclamé contre les représentans du peuple, menacé du rétablissement de la noblesse et de la rentrée prochaine des émigrés : ils n'ont jamais voulu dire de qui ils tenaient ces suggestions, et ils ont nié ces faits. Ainsi les agens principaux les plus criminels échappent, et le pauvre peuple qui les écoute en est la victime.
Portefeuille des Dames, n° 6, du 30 brumaire an 8, page 4 du suppl. (AD86, PfD du 1 novembre 1799, v. 56)