Le droit canonique classique règle, au cours des siècles et des Conciles, les conditions du mariage.
Voir également les documents suivants :
[R1] : Le mariage : Sacrement et validité
[R2] : Le temps du mariage
[R3] : Le mariage : ses contraintes socio-économiques

Il existait deux sortes d’empêchements religieux :
I-Les empêchements prohibitifs, jamais entièrement définis par l’Eglise.
Empêchements qui doivent être respectés sous peine de pêché et d’excommunication, mais qui ne portent pas atteinte à la validité du mariage.

Parmi ces empêchements, suite aux chapitres 1 et 10 du Concile de Trente font partie :
1° l’omission de publication de bans
Trois bans à trois jours de fêtes consécutifs, publiés dans les paroisses respectives des époux.
A cette condition, le pouvoir royal français ajoutera sans plus de détails par l’ordonnance de Blois : « avec intervalle compétent ».
Tout futur époux devait donc respecter ce délai maximum de 6 à 3 semaines, en espérant aussi qu’il n’y a pas d’opposition pendant ce délai. Au minimum, ce délai pouvait être de 8 jours, si dans le calendrier de l’année du mariage un jour de fête se trouvait entre deux dimanches.
mariage 1
Dessin 1: de Roseline Skott
Dans le Midi, les diocèses imposaient la publication non seulement dans la paroisse de domicile, mais aussi dans la paroisse de naissance.
Tous les évêques se conformaient à l’Edit de 1597 sur la notion du domicile : domicile de droit au bout de 6 mois si l’on vient d’une autre paroisse du même diocèse et au bout d’un an si l’on vient d’un autre diocèse. Si ces délais n’étaient pas atteints, un domicile « de fait » était seulement constaté.
Généralement, le mariage se faisait 24 heures après le dernier ban. L’heure de la cérémonie religieuse était prescrite le matin, après le lever du soleil et avant midi. Des dispenses étaient possibles pour se marier à minuit, par exemple, selon la coutume des milieux aristocratiques.
Enfin, à signaler qu’il existait possibilité de dispense de bans dans le décret « tametsi » qui s’en remet à la « prudence » de l’évêque.
En France, l’ordonnance de Blois autorisera la dispense des 2èmeèmeème et 3èmeèmeème bans « pour quelque urgente et légitime cause », mais elle imposera le premier ban.
2° la clandestinité du mariage (sans témoins) depuis 1563 au Concile de Trente et 1556 en France.
3° l’ignorance du tempus ferrarium (voir [R2])
Tout futur époux, en respectant le délai maximum de publication des bans, devait donc penser à faire les démarches auprès de son curé au moins 7 semaines avant le début du temps clos, s’il n’y avait pas de demande quelconque de dispenses qui pouvaient se faire attendre. Donc pour se marier avant le 30 novembre, début de l’Avent, il fallait se décider à s’unir au plus tard à la mi-octobre (temps des labours). Et si l’on voulait se marier avant le début du Carême, il fallait , selon la date de Pâques, y penser avant début février jusqu’à début mars.
4° le rapt de violence.(voir [R2])
II-Les empêchements dirimants, absolument indispensables à la validité du mariage.
Ces empêchements concernent :

 

  • soit les problèmes liés au consentement (chapitre 6, 7 et 9 du Concile de Trente-  voir [R1])
  • soit des incapacités diverses, absolues ou relatives.

1° Les incapacités absolues

Elles sont bien définies par l’Eglise. Il y a :

a l’impuberté.

mariage interdit au-dessous de 14 ans pour les garçons, 12 ans pour les filles.
Âge que maintiendra le pouvoir royal français qui, dès 1556, pour d’autres raisons, ira plus loin, en imposant la majorité matrimoniale à 30 ou 25 ans selon le sexe.voir [R1]
Voici donc une raison qui a pu obliger nos ancêtres du XVIIIème à se marier en moyenne au premier mariage à l’âge de 27/28 ans pour les hommes, à 25/26 ans pour les femmes, à la ville comme à la campagne. Mais nous le verrons par la suite, à cette raison se greffaient d’autres raisons majeures d’ordre socio-économiques

b l’impuissance.

Le « copula carnalis » est une condition de validité du mariage. Si l’impuissance est antérieure au mariage, ceci peut entraîner l’annulation du mariage. Mais, survenue au cours du mariage, l’impuissance doit être constatée par un examen devant chirurgiens et médecins.
a-l’existence de voeux de chasteté.
Avant le Concile de Latran, la règle du célibat fut mal respectée par les prêtres et les évêques. Le Concile de Latran précisera que l’entrée dans les Ordres est un empêchement dérimant.
b-la non-appartenance à la foi chrétienne.
Le mariage mixte avec un « infidèle » présenterait une atteinte au sacrement.
Une telle union peut être considérée comme valide si le consentement mutuel a eu lieu, mais, sans dispense préalable, ce genre de mariage reste un pêché mortel.

c la bigamie.

Le mariage ne peut avoir lieu avec un conjoint dont le premier mariage n’est pas interrompu par la mort de l’autre conjoint.

2° Les incapacités relatives

Ainsi définies car elles peuvent être surmontées par des dispenses (chapitres 2, 3, 4, et 5 du Concile de Trente).
Elles suivent, avant tout, la crainte de l’inceste. Ce sont des empêchements de parenté ou d’affinité.
Le droit canonique prévoit 4 sortes de parenté :

a La parenté naturelle ou consanguinité « consanguinitas »

Avant le Concile de Latran en 1215, il était interdit de se marier avec un parent jusqu’au 7èmeèmeème degré. Le Concile de Latran réduira l’empêchement parental jusqu’au 4èmeèmeème degré. Donc il était interdit à tous futurs époux de se marier s’ils avaient des trisaïeuls communs (un degré canonique correspond à une génération)

b La parenté par alliance « affinitas »

Il était impossible pour un(e) fiancé(e), après rupture de premières fiançailles, d’épouser un(e) parent(e) du premier fiancé, tout comme il était impossible pour un veuf d’épouser un(e) parent(e) du premier conjoint.
Tout comme pour la parenté naturelle, l’interdiction va jusqu’au 4èmeèmeème degré après 1215.

c La parenté légale par adoption « cognatio legalis »

L’enfant adopté ne pouvait épouser un enfant de ses parents adoptifs, ni ses parents au 4èmeèmeème degré.

d La parenté spirituelle « cognatio spiritualis »

Elle est liée par la participation à un sacrement. Ainsi il y avait interdiction d’épousailles avec le parrain ou la marraine (qu’il soit de baptême ou de confirmation). Ceci avait entre autre pour conséquence :

  • qu’un filleul, ou son père ou sa mère, ne pouvait épouser le parrain ou la marraine,
  • qu’un filleul ne pouvait non plus épouser les enfants du parrain ou de la marraine.

Les protestants critiqueront la trop grande marge des empêchements et ne garderont que l’empêchement de parenté au 3èmeèmeème degré, c’est-à-dire l’interdiction de mariage entre cousins germains.
Jean-Louis Flandrin écrira bien plus tard, en critiquant ses empêchements et en ironisant:
« J’ai 2 parents, 4 grands-parents, 8 bisaïeuls et 16 trisaïeuls. Toutes les filles descendant de ces 16 trisaïeuls me sont interdites.
Admettons qu’à chacune de ces générations chaque couple n’a marié que deux de ses enfants : hypothèse raisonnable dans une situation de stagnation démographique. Mes 16 trisaïeuls n’ont donc marié que 16 de leurs enfants ; ceux-ci –compte tenu de ce que mes 8 bisaieuls n’ont formé que quatre couples- ont marié 24 des leurs qui ont à leur tour marié 44
enfants à la génération de mes parents. A ma génération cela donne 86 jeunes gens à marier, dont 43 filles en admettant que les filles se marient autant que les garçons. Voilà donc 43 filles qui me sont interdites. Encore est-ce un minimum qui serait augmenté si l’un de mes ancêtres avait adopté des enfants étrangers à la famille ; si certains avaient contracté plusieurs mariages successifs ; si l’on n’avait pris garde de toujours choisir parrains et marraines parmi les consanguins ; et si j’avais par fornication contracté des affinités illégitimes avec d’autres familles.
Si malgré tout je réussis à me marier et si ma femme a une parenté aussi nombreuse que la mienne, je contracte une affinité légitime avec ses 43 soeurs et cousines. De sorte que, si elle meurt après quelques années de mariage-cas fréquent avant le XIXème siècle- 86 filles de ma génération me seront au total interdites, à moins que certaines des cousines de ma femme n’aient déjà fait partie de ma parenté ». ( ref. : Amours paysannes/1975)
L’absurdité des contraintes de parenté et d’affinité est tellement merveilleusement résumée dans ce texte, qu’il nous est possible d’imaginer les problèmes de coeur et de choix de nos ancêtres poitevins dans leurs campagnes et paroisses relativement peu peuplées.
Le Concile de Trente dût s’en rendre compte, puisqu’il restreindra les empêchements de parenté spirituelle et de bien public, mais maintiendra ceux de la consanguinité et d’affinité, ce qui réduisait déjà le nombre d’interdictions moyennes, présentées par Flandrin.
Heureusement aussi pour nos ancêtres, il y avait la pratique des dispenses !
Au Moyen-Âge, la demande de dispense devait être envoyée à Rome par un banquier expéditionnaire, qui se chargeait de la sollicitation et de l’acquisition des frais et le pape délivrait une bulle de dispense que l’official du diocèse, dans lequel habitaient les futurs époux, recevait.
Par la suite, pour épargner une longue et coûteuse procédure, les évêques reçurent l’autorisation pontificale d’accorder eux-mêmes les dispenses aux couples peu fortunés. Une fois la demande reçue, l’évêque désignait un enquêteur qui l’informait de la situation afin qu’il puisse prendre une décision.
Les pièces de l’enquête sont de riches sources généalogiques, qui donnent de nombreux détails sur les conditions de vie et sur la famille de nos ancêtres. Les motifs de dispense sont variés, entre autres

  • la parenté spirituelle ou parentale liée généralement aux conditions socio-économiques,
  • le manque de choix de conjoints du à la petitesse du lieu (Paul V avait limité au début du XVIIème l’usage des dispenses aux communautés de moins de 300 feux)
  • l’âge déjà élevé de la future épouse (moyen de contourner la majorité à 25 ans en passant par l’Eglise , moyen qui prouve aussi une des fins primordiale du mariage : la progéniture)
  • l’inégalité de conditions etc…

L’Eglise tiendra compte des impératifs géographiques et économiques et nous nous en rendons très bien compte quand nous découvrons des ancêtres mariés entre cousins germains, cousins issus de germain, autant de liens de parenté qui officiellement étaient interdits.
Dans une enquête de dispense de 1788 on peut lire :
«… Laditte suppliante serait exposée a ne pas trouver parti dans sa paroisse qui luy convint, qu’il n’y a actuellement dans la paroisse qu’environ 10 garçons en âge de se marier dont elle est parente dans un degré prohibé, savoir quelques-uns au 2ème degré et le reste dans des degrés plus éloignés, que si elle étoit obligée de se marier a une autre paroisse, le peu de fonds qu’elle aura après le deces de son père perdroit de sa valeur en ce qu’un etranger n’en tireroit pas le même parti que celuy qui habite ce lieu, qu’enfin la ditte suppliante trouve un grand avantage en l’epouzant, luy suppliant, en ce qu’elle ne seroit point obligée de quitter la maison paternelle et qu’elle continueroit à ce moyen d’assister son pere et sa mere qui n’ont pas d’autres enfants et qui sont tous les deux de mauvaise santé, luy, ayant promis et etant dans la resolution d’habiter avec eux et de les assister dans leurs vieillesses et infirmités.. »
Ce texte prouve combien d’autres contraintes, plus terre à terre, poussaient nos ancêtres à vouloir se marier avec l’un plutôt qu’avec l’autre.