Comme institution régulière, la milice, oeuvre de Louvois, date du mois de novembre 1688. Comme l'a très justement remarqué M. Gébelin, elle existe en fait sous des noms divers depuis longtemps : le royaume est-il en danger que l'on appelle aux armes les habitants des provinces menacées et qu'ils combattent côte à côte avec les soldats des troupes régulières. Le péril écarté, ils sont définitivement licenciés. Leur aide n'est donc acquise à l'armée qu'en période de crise : la plus célèbre de ces levées locales est celle de l'année de Corbie, lorsque les Impériaux menacent Paris.
En faisant de la milice une troupe auxiliaire permanente, levée sur tout le royaume, constituée dès le temps de paix et servant non plus impromptu et dans des circonstances critiques tiques mais pendant toute la durée d'une guerre, Louvois innove donc. La nouveauté, c'est de faire participer régulièrement le peuple à la défense du royaume, de n'en plus laisser le soin aux seuls professionnels, de commencer à combler l'abîme qui sépare l'armée de métier de la nation. La milice, c'est l'origine du service obligatoire.

Pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, le contingent annuel fixé par le roi est réparti sur un certain nombre de généralités : dans chacune d'elles, les paroisses désignées par l'intendant élisent pour deux ans un milicien « à la pluralité; des voix »; à partir de 1690, par souci d'équité, on remplace l'élection par le tirage au sort.
Recrutés régionalement donc et groupés en compagnies, les miliciens forment pour le service de guerre des régiments spéciaux, encadrés par la noblesse locale. Pendant les quartiers d'hiver, ils reviennent dans leur province ; tout le temps qu'ils y demeurent, ils peuvent se livrer à leurs travaux accoutumés et habitent leur paroisse, avec défense de la quitter. Réunis les dimanches et fêtes, ils s'entraînent sous la direction de leurs cadres et font l'exercice.
Pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, les miliciens sont employés à l'intérieur, au service des places, et quelques-uns à l'armée, avec les troupes combattantes. On réserve ceux-ci presque uniquement à l'armée des Alpes, commandée par Catinat. Ils participent à la conquête de la Savoie et du comté de Nice et figurent à Staffarde. Mais le maréchal paraît les affecter surtout à des tâches de second ordre : missions de flanc-garde, de soutien ou de liaison, occupation, garnisons.
Ces soldats improvisés, qui ne font pas toujours bonne contenance au feu, ne montrent pas de bonne volonté et répugnent au métier des armes ; mal commandés, ils sont rebelles à la discipline ; enfin leur maintien au service au delà de durée légale de leur appel et au mépris des promesse faites achève de les révolter. Leur mécontentement est partagé par le pays entier à qui la milice impose de lourdes charges annuelles ; sa disparition en 1697 est donc bien accueillie. En résumé, pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, les miliciens ne voient le feu qu'exceptionnellement et sur un théâtre d'opérations particulièrement facile ; le principe du recrutement régional est scrupuleusement observé et les hommes d'une même région, commandés par des officiers qu'ils connaissent, ne se quittent pas; enfin ils forment des régiments spéciaux en simple contact avec ceux des troupes réglées, sans fusionner avec eux. Et déjà pourtant la milice est impopulaire.

RACOLAGE ET MILICE
Girard Georges
Paris, Plon, 1922
L’ouvrage est à la bibliothèque du centre Georges Pompidou (Beaubourg) à Paris et à la bibliothèque du SHAT à Vincennes. La première partie (non retenue) est consacrée aux troupes régulières (ou réglée).
La deuxième partie (ici) est consacrée à la milice provinciale, les prémices du service militaire obligatoire.

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