Suivant vos Feuilles, M., il paroit que les seigles du Poitou ont été plus endomagés par les vers que ceux des autres Provinces ; j'en ai fait moi-même la funeste expérience ; & toutes les fois que j'ai voulu voir les insectes qui causent ces dégâts, j'ai toujours constamment & invariablement trouvé auprès des grains ataqués, des especes de Teignes jaûnes, ayant environ six lignes de longueur & marchant sur leurs pieds avec beaucoup d'agilité ; je vous en envoie six ou sept afin que vous puissiez en juger ; dans ce nombre il y en a que j'ai conservé depuis le mois de Janvier, & quelques autres que j'ai trouvé tout récemment dans des tuyaux d'orge mondé ; car ces insectes continuent encore à ronger les grains, mais avec beaucoup moins de succès que dans l'hiver, parce que l'envelope qui couvre la tige est bien plus dure. Il y a des hivers où les fromens en sont très-endomagés ; mais c'est sur-tout aux orges & aux seigles que ces vers ont fait le plus de mal cet année. Ils ne touchent point aux grains tant qu'ils ne sont pas sortis hors de terre, ce n'est que la tige seule qu'ils ataquent ; &, comme cette tige précieuse, destinée à porter l'épi, est couverte de plusieurs envelopes, les vers dont je parle piquent ces envelopes immédiatement au dessus des racines de la plante, les percent de façon à pouvoir entrer dans le tuyau ; alors ils rongent toujours en montant & jusqu'à la superficie de la terre, la tige très-tendre qui supporte l'épi. Les feuilles qu'ils ne mangent ni n'attirent à eux comme font les Courtillieres, restent dans leur même position ; mais séparées de la tige qui n'existe plus, elles se fanent, jaûnissent ; & on les enlève sans sentir aucune résistance.
D'après cet exposé, M., vous conviendrez comme moi, que l'Auteur de la lettre écrite des environs de Challans, & insérée dans votre Feuille du 12 Mai N° 19, n'a pas bien observé, puisqu'il dit avoir trouvé près de la racine d'un pied de blé, une vingtaine de petits vers blancs presque sans vie & à peu près semblables à ceux qui naissent dans la viande corrompue. D'où il est aisé d'inférer qu'il n'a vu alors que les œufs de quelques insectes : car il y a une grande différence entre la decription qu'il en fait & les vrais originaux que vous trouverez ci-inclus. (La suite à l'Ordinaire prochain.)
ADP N° 26, du 30 juin 1774, p. 114

Suite de la 5e Lettre de M. de Scévole.

Je suis bien disposé à croire que ces vers font plus de ravage lorsque l'hiver est humide que lorsqu'il est sec et froid ; l'humidité atendrit les plantes, le froit au contraire les resserre & les durcit, ce qui les rend moins susceptibles d'être rongées : mais je ne suis pas tout-à-fait de l'avis de l'Auteur anonyme des environs de Challans, qui trouve singulier & extraordinaire que l'on dise dans son Canton que ces vers qu'on y appele Barbots n'ont causé les dégats dont il se plaint que dans des terres trop labourées ou ensemencées par des temps trop secs : car quoique la plupart de ceux qui se mêlent d'écrire sur l'Agriculture, nous crient de leurs cabinets, donnez de fréquens labours à vos terres, rendez les bien meubles, bien mouvantes, & semez par un temps très-sec, la vérité est qu'une terre à seigle, naturélement douce, legere & de peu de consistance, sera plus sujete qu'une autre à produire de mauvaises herbes, ou à être dévastée par les mulots, les teignes & autres insectes, si elle a eu trop fréquens labours, & si ces labours ont été donnés par des temps trop chauds. De ce que les terres à froment, toujours tenaces, fortes & compactes ont besoin d'être souvent travaillées pour qu'on puisse parvenir à en diviser toutes les parties, il ne s'ensuit pas qu'il faille en faire autant pour les terres à seigle dont la nature est toute différente ; les unes gagnent à être ouvertes, brisées, atténuées pour qu'elles admettent dans leur sein les influence bénignes de l'air, de la chaleur & des pluies, auxquelles elles seroient sans cela impénétrables ; les autres, au contraire, déja trop poreuses par elles-mêmes perdent plus de leur propre substance qu'elles n'en acquièrent de nouvele, si à force de les labourer on les réduit en poussiere ; d'ailleurs dans cet état, les mauvaises graines s'y conservent beaucoup mieux, les insectes y déposent plus volontiers leurs œufs, & ont plus de facilité pour s'y ouvrir des passages en tous sens.
Je fis faire l'année derniere un défrichement d'environ 50 boisselées dans la paroisse de Parnac, proche St-Benoît-du-Saut, en Poitou. Aulieu de Bruyeres & autres mauvaises plantes, il n'y avoit sur toute la surface du terrain, qu'un simple gazon qui fut facilement renversé par la charue, on le laissa dans cet état pendant plusieurs mois de suite sans y toucher ; lorsqu'on voulut lui donner un autre façon, qu'on appele Retrancher, on le trouva tellement consommé que le tout se réduisit en poussiere. Dès les premiers jours d'Octobre mes métayers s'aviserent de semer du seigle sur un quart de ce terrain, & cela par un temps très-sec ; le surplus ne fut ensemencé que plusieurs jours après, mais il étoit tombé de l'eau qui avoit humecté la terre. Quel a été le résultat de ces deux ensemencemens ? Le premier a été ravagé par les vers ; le second, quoique contigu a produit du blé de toute beauté, où ces mêmes insectes n'ont fait aucun mal.
J'avois un autre défrichement dans la même paroisse, où le seigle, chaulé suivant la méthode de M. de Sutieres, n'a pas été plus épargné que le premier, & tous mes laboureurs attibuent cet accident aux causes dont j'ai parlé.En général, les défrichemens sont plus sujets a cela que de vieilles terres, & la raison en est toute sensible. Les vers, teignes ou barbots s'atachent d'abord aux racines des plantes renversées par la charue, parce que leur destination, dans les vues de la Providence, est de contribuer à la prompte dissulution des plantes qui cessent de végéter ; mais dès que celles-ci vienent à leur manquer, il est tout naturel qu'ils se jetent sur les bleés nouvélement semés, qu'ils trouvent déja établis. Voilà ce que je peux dire de plus certains sur ces insectes destructeurs. (A Argenton en Berry, le 13 Juin 1774.)
ADP N° 27, du 7 juillet 1774, p. 118