Après quelque temps passé sur autre chose, je reprend les écrits du Curé des environs de Civrai, pour une ultime lettre trouvée dans les Affiches.
Cette fois, le Curé s'intéresse au génie civil (il ne connaissait pas le Guide de Bretagne, a priori...).

AdP 02/07-24/09/1789, v.19
Du 20 août 1789
Lettre d'un Curé des environs de Civrai, correspondant de la Société royale d'Agriculture, à l'Auteur des Affiches

Les grandes eaux, M., qui ont succédé au froid & au dégel de cet hiver dernier, ont entraîné une partie des chaussées, des moulins de ce pays-ci ; il n'y a qu'un de mes parens qui n'a pas éprouvé le même fort. Comme chargé par devoir, & par titre honorable, de m'occuper de l'économie rurale, je crois devoir vous faire quelques observations sur cet objet important.

Il y a vingt ans, que la chaussée du moulin de Bellevue, près Civrai, fut entraînée par les grandes eaux ; comme la pierre & la chaux manquèrent, pour réparer le mal, mon parent résolut sur le champ d'u suppléer avec de la terre glaise ; pour cet effet, il forma un encaissement avec de gros piquets enfoncés avec force, qui formèrent une espèce de pilotis ; il fit bien corroyer sa terre glaise, & en forma sa chauffée ; cette terre bien pilée, ne forma qu'une pièce, & un ensemble, que le froid, le dégel, l'eau n'ont jamais pu ébranler & n'ébranleront jamais. Après que mon parent eût bien observé la hauteur & l'épaisseur nécessaires à son ouvrage, il fit semer sur la superficie de sa chauffée des graines de foin, dont les racines & feuilles, forment aujourd'hui une liaison et un glacis, qu'il est impossible à l'eau de rompre ; & je puis vous répondre, M., que tout est si bien tassé, réuni & si bien attaché ensemble, que je regarde cette chaussée inattacable, par le froid, le chaud, le dégel & par l'eau.
En effet, quoiqu'en disent quelques Ingénieurs, à qui l'on en a parlé, il est facile de concevoir que ce simple moyen exige moins d'ouvriers, moins de matériaux, moins de précautions, & conséquemment beaucoup moins de dépense.
D'ailleurs, tous le monde fait qu'en fait de chaussée, si la chaux n'est pas bonne, si la pierre n'est pas dure, si les pierres sont placées par des ouvriers ignorans, enfin si l'ouvrage n'est pas prompt, tout manque, & la dépense est perdue, au lieu qu'avec cette méthode éprouvée & économique ; il ne faut point grande dépense ni précaution pour corroyer, piler & joindre en un corps & seule pièce, de la terre glaise, &c.
Je suppose même que la chaux, sable, & que tout soit bien choisi, si l'eau survient, si l'eau déblaye, si l'eau enfin empêche de cristaliser le mortier, l'ouvrage sera de très peu de durée, s'il ne devient pas même inutile.
Bien plus, si nous avons appris dans cet hiver dernier, combien le froid, dégel & l'eau ont agi sur la pierre, chaux & sable, nous avons vu de même que ce froid n'a produit aucun effet sur la terre glaise bien corroyée, pilée & bien réunie en une seule pièce.
Ainsi, M., d'après cette expérience, & mille raisons qu'il seroit trop long de déduire, je laisse aux propriétaires de moulins, à décider sur le parti qu'ils doivent prendre pour la reconstruction des chaussées.
Ce qui me rassure, c'est que mes observations fondées sur des expériences & des raisons qui sont à la portée de tout le monde, ne peuvent déplaire à personne, puisque je ne conseille que la solidité & de l'économie, pour la construction des chaussées, qui sont l'âme du moulin.
J'ai l'honneur d'être, &c.