Parmi les rites nuptiaux figure la bénédiction de pièces de monnaie par le prêtre qui célèbre le mariage. En certains endroits, ce sont treize pièces qu’on présente ainsi à la bénédiction, en même temps que les alliances : le treizain. Van Gennep signale le dépôt de ces treize pièces « sur le plateau des offrandes », dans quatre communes du canton de Châteauneuf-sur-Charente (Vibrac, Saint-Amant-de-Graves, Angeac-Charente et Saint-Simeux), dans une quinzaine de localités du Marais Poitevin et dans le Bocage, où le prêtre garde « la treizième pièce ». Il ajoute que, en Vendée, d’après Trébucq, « le curé ne remet que trois pièces au marié, qui les passe à sa femme après la bénédiction de l’anneau et d’un gâteau offert par le parrain » (1).
treizain 2Pour la Saintonge et l’Aunis, l’abbé Noguès traite de la coutume mais pour mentionner son absence : « Quant aux arrhes ou pièces de mariage, regardées comme le signe de l’abondance, et dont l’offrande à l’épouse est selon certains auteurs, plus ancien que celui de l’anneau, ils sont encore à peu près inconnus dans toutes les paroisses qui avoisinent le Poitou. Il faut peut-être en attribuer la cause à l’extrême pauvreté de ces contrées avant l’extension de la culture de la vigne » (2). Le curé de Dampierre semble ainsi désigner la Saintonge septentrionale des environs de la Boutonne.

Leproux n’est guère plus prolixe. Il signale qu’à Montemboeuf, vers 1885, les familles les plus pauvres n’hésitent pas à recourir à l’emprunt pour satisfaire à la coutume. Cependant, vers la fin du siècle, l’usage n’est plus guère observé que dans les familles riches et, après la guerre de 1914 et la disparition de la monnaie d’or, il « n’est plus qu’une occasion pour les familles fortunées d’étaler « leurs moyens » et montrer qu’elles ont encore des pièces d’or ». Le « folkloriste des Charentes », comme l’appelait R. Doussinet, signale le maintien de la coutume à Chazelles en 1944 et en Montbronnais en 1945. Il mentionne aussi que, « dans la région angoumousine », le treizain était placé dans le cercueil du premier mort de la famille, même si c’était un enfant, et qu’on n’a jamais pu lui donner la raison de cette pratique (3).

Au hasard d’un dépouillement de textes en vue d’une histoire de la « Vieille Paroisse » de Rochefort, nous avons trouvé trace de cette coutume vers 1675. La « Vieille Paroisse » est l’ancienne église de Rochefort, édifice médiéval désaffecté depuis plus d’un siècle, qui abrite actuellement le musée de la Société de Géographie de Rochefort. On trouve aux archives de l’Évêché, à la Rochelle, quelques procès-verbaux de visites paroissiales, dont l’un, daté du 20 janvier 1677, est riche en enseignements sur la pastorale dans la paroisse Notre-Dame de Rochefort. Il comporte de nombreuses dépositions de paroissiens qui mettent notamment en évidence certains excès du curé. C’est dans la série des plaintes contre le desservant que se situent les extraits suivants.

Déposition du procureur syndic de la paroisse :
« … outre cela que ne luy appartenant que la treiziesme pièce des arts (sic, pour arrhes) que l’époux a coustume de donner à son épouze, il en prend quelquefois la moitié et presque toujours trois ou quatre pièces… »

Déposition d’un commis au contrôle de la Marine, âgé de vingt-huit ans « ou environ » :
« … dit aussy le dit déposant que lors de la célébration de son mariage on mit treze demy louis d’or pour servir d’erre (arrhes), à la manière accoutumée, dans l’église, dont le dit curé en retint deux au lieu d’un seul qui luy revenoit à ce qu’il prétend ordinairement, ce qui scandalisa beaucoup la femme du dit déposant qui est une nouvelle convertie à la foy catholique et à la prière de laquelle il fut demander l’excès de demy louis au dit curé, avec offre de luy donner la valeur d’iceux en argent blanc, ce qu’il refusa de faire, disant qu’il les retenoit pour ses droits, dont à la rigueur il luy seroit encore deû dix sols de reste ».
treizain 3
Van Gennep s’est élevé contre les auteurs qui « ont confondu ce don de monnaie avec les arrhes » que la jeune fille recevait lors des fiançailles, ces arrhes constituant une sorte de gage qui devait être restitué en cas de rupture de la promesse de mariage. Ils consistaient anciennement en pièces d’or ou d’argent, plus récemment en bijoux, menus cadeaux, parfois même vêtements. Van Gennep estimait que cette assimilation était « interdite par le moment du don et sa bénédiction, ainsi que par sa valeur marchande très faible » (4). C’est pourtant le terme arrhes qui est employé par les deux déposants et à l’occasion de la cérémonie du mariage.

Le point de vue de l’Eglise est exprimé dans les rituels et statuts synodaux. D’après un rituel du diocèse de la Rochelle daté de 1744, selon une analyse de J. Morin (5), « le curé demandait l’anneau et les treize pièces d’argent qu’on lui présentait généralement dans un bassin (plat de quête), bénissait l’anneau et les pièces… (ici l’époux passe l’anneau au doigt de l’épouse), puis l’époux prenait le nombre de pièces d’argent que l’on avait coutume de prendre dans le lieu (laissant les autres au prêtre), les mettait dans la main droite ou dans la bourse de son épouse en ajoutant ces mots : « et de mes biens je vous douë » (c’est-à-dire « je vous dote »). Cette formule signifie clairement que le marié « dote » l’épouse « sur ses biens » et que la remise des pièces constitue le symbole de la « dotation ».

Les « statuts synodaux du diocèse de la Rochelle et Saintes » publiés en 1888 stipulent : « Suivant l’usage, après la bénédiction de l’anneau, il (l’officiant) peut, le cas échéant, bénir les arrhes, par la formule : Oblatos etiam, Domine, in signum constitutoe dotis nummos benedicere digneris, et ut bene sponsa dotetur coelestibus instrue disciplinis. Per Christum Dominum Nostrum » (p. 257-258). C’est bien le même symbole de « constitution de dot » et c’est encore le terme arrhes qui est employé.

Leproux signale qu’à Brigueil, en 1943, on disait que le treizain « était pour payer sa femme » et il ajoute qu’il était le plus souvent considéré comme une dot pour la femme ou « une réserve en cas de malheur ». Nous n’insistons pas sur les interprétations mais nous constatons que, vers la fin du XIXe siècle, l’autorité diocésaine prend en compte une pratique ancienne qui n’est probablement pas encore tombée en désuétude. Or Van Gennep n’a rien trouvé pour le diocèse de la Rochelle et Saintes, dans les publications de ce siècle. Il est vrai que, d’une façon générale, les coutumes d’Aunis et Saintonge n’ont pas fait l’objet d’enquêtes systématiques quand il était encore temps et c’est bien dommage.

Notes
(1) Manuel de folklore français contemporain, tome 1, volume 2, p. 459-463.
(2) Les moeurs d'autrefois en Saintonge et en Aunis, p. 9.
(3) Contribution au folklore charentais, Angoumois, Aunis, Saintonge; tome III, 1959, p. 174-175.
(4) Op. cit., tome 1, volume 1, p. 280 et volume 2, p. 460 note.
(5) Bulletin de la SEFCO, tome II, 4e livraison, octobre-décembre 1965, p. 88-89.