Souvent des maisons des constructions diverses se sont appuyées sur les murs des édifices religieux des fortifications d’une ville. Ces édifices ont été considérées comme des verrues par les municipalités qui ont souvent procédé à leur destruction pour dégager les monuments historiques. Mais une carte postale du début du XXème siècle donne une image fort différente d’une de ses maisons appuyées sur le chevet d’une église de Loudun et on peut, avec un petit peu de mauvaise foi, retourner le problème et parler de son côté charmant..


loudun chevet de st pierre 1Sur une vielle carte postale de Loudun qui porte au dos un cachet de la poste daté du 17-05-1911 on voit une petite maison blanche. La photographie a été prise place Carnot à Loudun, on lit l’inscription « D.-B.-LOUDUN – Le Chevet de l’Eglise St-Pierre et Place Carnot » en en-tête, elle est signée « Dando-Berry, Loudun – 563 ». La maison s’appuie frileusement sur le mur du chevet de l’église St-Pierre-du-Marché, elle est coincée entre deux piliers de contrefort. Elle comporte un rez-de-chaussée avec une vitrine de boutique, un étage percé de deux fenêtres entre lesquelles il y a un panneau publicitaire donnant la raison sociale de la boutique, mais la photo n’est pas assez nette pour savoir ce qui est écrit ou dessiné, le tout est surmonté d’un grenier couvert d’un toit en une pente avec deux ouvertures mansardées, on aperçoit de profil le « pignon » droit de la maison portant une inscription peu lisible écrite sur trois lignes (peut-être DEBIT 1er PAS ?), ce pignon est surmonté d’une cheminée qui monte jusqu’en haut du contrefort droit.
Un examen plus fouillé du mur du chevet permet de constater que celui-ci n’est pas un bon état, on y distingue au moins trois grosse fissures. Il y a une ancienne ouverture de forme gothique cachée pour moitié par la maison qui a été murée et on repère dans l’agencement des pierres à l’intérieur de l’ouverture fermée la trace d’une autre ouverture elle aussi murée de forme plus romane, avec un arc de cercle au sommet, la condamnation des ouvertures doit être la conséquence de l’état du mur. A droite du renfort dextre dans un renforcement une ancienne fenêtre de type gothique est elle aussi murée. Au bas de cette dernière ouverture on distingue une charrette à bras soigneusement rangée dans le recoin.
La place Carnot est entourée de maisons avec des devantures de boutique. Il n’y a pas un chat sur la place et aucun véhicule, seul une femme voutée portant des cabas vaque à ses occupations. En bas de l’image un chien noir et blanc apparait et un autre sur le côté droit monte sur le trottoir. C’est toute l’animation de la ville de Loudun dans ce début du 20ème siècle qui transpire dans cette carte postale.

 


loudun boeuffeteriePar Google-Word on peut retrouver le chevet de cette église. La première chose que l’on voit c’est que la petite maison a mystérieusement disparu. Les maisons avec leurs boutiques et leurs devantures sont toujours là et l’animation sur la place est très différente en ce début du 3ème millénaire. Sur la vue proposée il y a deux passants, deux voitures en déplacement, un automobiliste est en train de manœuvrer au niveau d’une place de stationnement, 12 autres véhicules immobiles occupent l’espace le long des trottoirs. Le chevet de l’église St-Pierre est totalement dégagé, les fissures ont été reprises et consolidées, la grande ouverture gothique entre les deux piliers de renfort est toujours murée et porte une fresque représentant une scène biblique peinte sur sa surface, la fenêtre étroite sur la droite n’est plus fermée, un vitrail remplace les pierres. Enfin la place ne s’appelle plus « place Carnot » mais « place de la Boeuffeterie » comme l’indique une plaque fixée sur le mur du chevet.
Le recensement de 1911 apporte des renseignements sur les habitants de la place Carnot, on dénombre 11 familles, certaines constituées d’une personne seule. Malheureusement on ne peut savoir lesquelles occupaient la petite maison blanche, on peut quand même exclure les familles aisées, comme celle du pharmacien, du receveur des postes, du chapelier et ses domestiques et employés, de l’imprimeur-libraire,… Ces familles sont trop nombreuses et/ou trop élevées socialement pour occuper cette petite maison certes fort jolie mais trop modeste. Comme il y a une boutique dans cette maison il ne reste plus comme occupants possibles Louis BESNARD tapissier et sa femme Marie ou Félix MARCHAND épicier et sa famille, mais sans aucune certitude.


loudun st pierre du marchePour approfondir la recherche sur les occupants de la petite maison, la consultation du cadastre Napoléon s’impose. Sur le plan daté de 1838 on a la surprise de voir non pas l’emplacement d’une maison mais ceux de quatre habitations, le premier tout à gauche du renfort senestre, au commencement de la rue du Four-Neuf, numéroté 676, occupé par François GUESDON sacristain son propriétaire, entre deux renforts deux autres correspondants à notre petite maison numérotée 677 et une autre numérotée 678, le 677 est occupé par Hilaire BOIRY tailleur d’habits et sa famille son propriétaire, le 678 est la propriété de Pierre DESRATEAUX qui habite rue de la Porte de Chinon, le dernier, numéroté 679, situé au début de la rue de la mairie, est la propriété de la Veuve PHILIBERT qui l’occupe. Sur l’image de 1911 on peut voir des traces noires en hauteur sur la droite de l’édifice religieux correspondantes au faîte de la maison à droite, celle numérotée 678, celle occupant la place de la charrette à bras, cette maison est désormais disparue. Le pilier de droite visible sur la carte postale semble avoir été rajouté pour renforcer le chevet, il n’apparait pas sur le plan de 1838.


Dans le recensement de 1846 qui répertorie les familles par rue et par place, pour la Bauftrie (ancienne écriture de la Boeuffeterie) 4 familles seulement sont répertoriées, François GUESDON le sacristain et Zoé MARCAY couturière dans le même logement, Hilaire BOIRY tailleur avec Eugénie MARCAY sa femme et leur fille Eugénie, Radegonde DELORME couturière. On peut supposer que les numéros 677 et 678 ne forment plus qu’une seule habitation. En 1651 il n’y a plus que 3 familles, Pierre COUDRET serrurier avec sa femme Sylvie FOUCTEAU et leurs deux enfants Emile-Pierre 4 ans et Isabelle-Emilie 1 ans, Philippine BOIRY marchande veuve Joseph GENEBAULT et sa fille Victoire 19 ans qui doit occuper la petite maison blanche, Marguerite EXPERT veuve LEBLOIS avec sa servante Aimée RIES. On a confirmation qu’il ne reste plus que 3 logements. Philippine BOIRY est une sœur d’Hilaire BOIRY.
boiryA partir de 1856 les recensements prennent en compte toutes les maisons de la place, 11 foyers sont répertoriés comme en 1911, en 1866 on passe à 9 foyers, il ne doit rester plus qu’un seul logement adossé au chevet de St-Pierre. De 1856 à 1861 on retrouve Hilaire BOIRY et sa femme avec sa sœur Philippine. En 1866 ils ne sont plus que tous les deux et le lieu s’appelle place de la Boeuftrie. Hilaire BOIRY décédé, Eugénie MARCAY sa femme occupe seule le logement en 1872, sa belle-sœur Philippine BOIRY est propriétaire d’un autre logement donnant sur la même place, logement qu’elle occupe. En 1876 Eugénie BOIRY fille d’Hilaire et de Eugénie MARCAY avec son mari René MILLET sont dit propriétaires du logement, ils y résident avec leur fille Marie. La maison sera alors vendue en 1880 à la banque BERTRAND et compagnie. En 1881 il est difficile de donner un nom aux occupants, Eugénie BOIRY et son mari ont déménagé après la vente de leur demeure probablement en Loire-Inférieure, Eugénie est enterrée le 23-08-1880 au cimetière de la Miséricorde à Nantes (44). A partir de 1886 Marie BOIRY veuve Eugène ECUYER apparait comme résidente sur cette placette, d’abord seule, puis  ensuite avec Jean-Louis BESNARD tapissier son gendre et Angèle ECUYER sa fille et leur famille et enfin ces derniers seuls après le décès de leur mère et belle-mère. Cette Marie BOIRY veuve ECUYER est une cousine germaine d’Eugénie BOIRY, mais rien ne permet d’affirmer que les ECUYER occupent la petite maison.


loudun chevet de st pierre 2 ad86Une autre carte postale du chevet de St-Pierre se trouve sur le site des Archives Départementales de la Vienne avec un cadrage légèrement différent, dans la rubrique « cartes postales ». Sur cette carte de la même époque que la première, sans nom de marque, avec autant d’animation que la première, on repère à droite de la place, en regardant le chevet, la pharmacie DEVAL et sur la gauche la boutique MYRALIS-Mode en retrait d’une première boutique formant le coin avec la rue du Four-Neuf. En 1911 au recensement les trois sœurs MYRALIS, Marie la cheffe de famille couturière, Désirée modiste et Ernestine couturière et le pharmacien Charles DEVAL encadrent dans l’ordre les familles de Louis BESNARD et de Félix MARCHAND, mais sans que cela suive un ordre logique sur cette place appelée Carnot depuis le recensement de 1896. Ernest BABOUARD négociant mercier réside avec sa famille dans la maison jouxtant la boutique des sœurs MYRALIS, on peut lire BABOUARD au-dessus de la devanture de sa boutique, actuellement aux rez-de-chaussée de ces deux maisons on trouve une pharmacie. Félix MARCHAND et sa famille devaient occuper la maison jouxtant la pharmacie DEVAL, il y a un arrosoir  posé sur un banc devant la boutique faisant penser à un commerce de ce genre. Ces deux dernières boutiques ont disparu et ont laissé place aujourd’hui à l’enseigne « les Opticiens Mutualistes ». Louis BESNARD et sa famille occupe le bâtiment dans le prolongement de la boutique des sœurs MYRALIS, actuellement la « mutuelle de Poitiers », et avant lui la veuve ECUYER, comme indiqué sur un plan d’alignement de la place de la Boueffetrie daté de 1933 ou juste avant (Sylvette Noyelle/Sylviane Rohaut, Histoire des rues de Loudun, Du carrefour de la Croix-Bruneau à la rue Marcel Aymard (II), SHPL, 2001, pp. 136/137). Après la première guerre mondiale en 1921 il n’y a plus que 9 foyers recensés. On peut supposer que l’habitation a été détruite avant 1921 ou est inoccupée.


Dans le livre des dames NOYELLE et ROHAUT, on y apprend aussi que la mairie a racheté l’immeuble CHARREAUDEAU pour le détruire, qu’une certaine madame CHARAUDEAU lingère y vivait et que l’immeuble était aussi occupé par un débit de boisson. Sur le plan d’alignement à l’emplacement de la petite maison il y a écrit « BLANCHEL banquier » comme propriétaire. Dans leur publication il y a une autre carte postale du chevet (avec au bas l’annotation « 20 Loudun (Vienne).-Eglise St-Pierre. – LL »). Le panneau publicitaire sur la maison a disparu, mais ce qui est le plus frappant c’est l’animation de la place, il y a une grande affluence, on y voit deux charrettes à bras sur la gauche, une grande charrette de foin au milieu de la place, un cheval attelé à une charrette hippomobile et enfin devant la pharmacie DEVAL une voiture automobile à deux places, probablement une Dedion-Bouton, dont les deux passagers discutent avec un passant appuyant négligemment son pied sur le marchepied. Certaines des fissures du chevet ont été reprises et comblées par du ciment. L’image doit dater de l’immédiat après-guerre.