Extraits des Affiches du Poitou
Les conscrits de Voulême
Des environs de Chaunay, 7 Mai.
Le fait suivant peut servir à prouver que les paysans, quoique grôssiers, sont susceptibles de sentimens & d'humanité. Les jeunes gens de la paroisse de Voulême, près Sivray, réunis avec ceux de deux paroisses voisnes, étoient assemblés dernièrement pour tirer au sort & fournir un Soldat Provincial. Dans le nombre se trouvoient deux garçons, fils de deux femmes veuves qui avoient plusieurs autres enfans en bas âge. Elles n'étoient point, aux termes de la loi, dans la classe de celles qui peuvent exempter leur fils aîné. Cependant elles se trouvoient dans une position à ne pouvoir s'en passer. Toute la paroisse le sentoit ; aussi les garçons sujets au sort ne balancerent-ils pas à proposer d'eux-mêmes au Commissaire chargé de faire le tirement, de soufrir que le nombre des billets qu'on alloit plier, on en otât deux blancs pour ces deux garçons, dont les bras étoient si utiles à leurs familles.
Le Commissaire s'y prêta d'autant plus volontiers, qu'il ne contrevenoit pas lui-même aux ordres du Roi, puisque le même nombre fixé pas la loi, fourniroit un Soldat Provincial. Ce fait, M., est trop digne d'admiration pour n'être pas consigné dans vos Feuilles, qui doivent être le dépôt de tout ce qui peut contribuer au bien & à l'honeur de cette Province.
Affiches du Poitou, n° 20, du 16 Mai 1776, page 79
Les Jousserant de Lairé
AVIS DIVERS
Mademoiselle de Jousserant de Lairé, près Civray, a été mariée le 21 du mois dernier avec M. de Jousserant de la Voularnie, son parent au quatrieme degré. Elle étoit fille unique ; & par ce mariage le Château de Lairé, qui depuis plus de 800 ans, est possédé par les Jousserants, va se conserver dans cette famille. C'est la troisieme fois qu'une pareille alliancce a empêché qu'il n'en sortit. La maison de Jousserant est une des plus anciennes maisons du Poitou ; elle est alliée de celles de la Rochefoucault, de Laval, de Saint-Georges-Vérac, &c. Elle subsiste actuellement en quatre branches ; celle de M. de Jousserant de Lairé, celle de M. de Jousserant de Puyreau, Conseiller au Conseil Supérieur de Poitiers ; celle de M. de Jousserant de la Voularnie ; & celle de M. de Jousserant de Lachaud. Un de leurs Auteurs étoit Gouverneur du Château de Civray, sous le règne de Henri IV.
ADP, n° 19, du 13 mai 1773, page 76
Rectificatif :
On nous a prié de dire que l'énonciation donnée en dernier lieu, dans notre feuille du 17 Mai, des quatre branches existantes de la Maison de Jousserant, n'étoit pas exacte, relativement à l'ordre dans lequel chacune doit être placée….
ADP, n° 23, du 10 juin 1773, page 92
La fausse future mère
SOCIÉTÉ
Vos Feuilles, M., ne sont pas uniquement faites pour répandre des vérités utiles ; elles doivent encore servir à préserver des effets de l'imposture, & de l'erreur ; vous connoissez l'amour du peuple pour le merveilleux, & vous savez combien de gens de toute espece font malheureusement partie du peuple à cet égard.
Une femme de l'âge de 30 ans, habillée en paysane, acompagnée de son mari nomé le Blanc, Journalier, âgé de 35 ans, parcourt cette Province pour montrer aux Curieux un Phénomène fort singulier, s'il étoit vrai.
Elle annonce qu'elle est enceinte depuis vingt trois mois, & cherche à persuader que son enfant est vivant ; elle se fait toucher & visiter par tous ceux qui en ont la curiosité ; on sent & on apperçoit son ventre remuer ; on est d'abord tenté de croire que ce sont les mouvements de son enfant. Plusieurs Chirurgiens de différens endroits ont été les dupes de cette femme, & ont contribué par leurs récits à augmenter la crédulité.
Elle vint ici il y a 15 jours, & se présenta à un jeune Chirurgien qui a des connoissances, mais qui n'en a pas assez pour se prémunir contre l'erreur. Il avoit lu dans différens Auteurs de Médecine, toutes les Histoires de ce genre & plus singulieres encore, dont ils sont pleins, & que je crois inutile de rappeler. Il croyoit toutes ces Histoires ; il crut également celle ci ; il ne douta pas que cette femme ne fût éffectivement grôsse de 23 mois ; il forma en conséquence le projet de lui faire une incision & de tirer son enfant ; il lui fit promettre de revenir dans huit jours ; lui dit qu'il lui feroit l'opération en présence de ses Confreres, lui donna de l'argent, & promit de lui donner encore lors de l'opération.
Il visita pendant ce temps ses Confreres, tant de la ville que de la campagne, tâcha de faire passer dans leur esprit l'erreur qui le séduisoit, & les invita à l'opération ; il leur annonça même qu'il alloit travailler à une dissertation qui mettroit fin à la discution qui s'éleva il y a quelques années au sujet des naissances tardives, laquelle dissertation seroit la consolation des veuves & la terreur des collatéraux.
La femme ne manqua point d'ariver la veille du jour indiqué ; le Chirugiens s'assemblerent le lendemain ; elle parut devant eux avec une contenance ferme, & leur dit qu'elle étoit disposée à tout ce qu'ils voudroient, mais qu'elle espéroit qu'ils commenceroient par lui faire la charité ; ils lui donnerent en effet quelque argent, & ensuite ils l'examinerent ; quelques-uns furent séduits par les mouvemens violens qu'il sentoien dans son ventre ; d'autres plus instruits soupçonerent que ces mouvemens étoient volontaires, & que cette femme ne cherchoit qu'à les duper ; un entr'autres fit entendre qu'il falloit lui dire qu'elle étoit effectivement enceinte, & qu'ils alloient commencer l'opération, & que sûrement la frayeur que ceci lui inspireroit, leur feroit découvrir la fourberie ; en conséquence ils étalerent devant elle les instrumens nécessaires ; l'appareil l'étona ; elle dit pour lors qu'elle n'étoit pas confessée ; on lui répondit que l'opération ne la feroit par mourir, qu'au surplus elle auroit assez de temps pour le reconoître : elle repliqua qu'elle avoit mangé, qu'il faudroit attendre qu'elle fût à jeun ; on lui répondit encore que ce n'étoit pas un obstacle ; enfin elle dit qu'il conviendroit mieux qu'on lui fit l'opération dans le cabaret où elle étoit logée, parce qu'elle seroit plus près de son lit. On feignit de la croire, & on lui dit qu'elle n'avoit qu'à s'y rendres & qu'on l'y suivroit ; elle sortit, mais au lieu d'aller dans son cabaret, elle prit à la hâte une autre route, s'enfuit avec l'argent qu'on lui avoit donné, & alla chercher à tromper d'autres Chirurgiens. …
C'est pourtant dans le 18e siècle, & chez une nation éclairée, que l'on veut ainsi en imposer à la multitude ! Il faut que ces femmes comptent bien sur l'ignorance du Peuple & la douceur de l'Administration !
ADP, n° 19, du 12 mai 1774, page 78
Commentaires de Gloria Godard
Merci pour cette nouvelle revue de presse.
C'est l'histoire de la femme Leblanc qui a retenu mon attention.
"C'est pourtant dans le 18e siècle, & chez une nation éclairée, que l'on veut ainsi en imposer à la multitude ! Il faut que ces femmes comptent bien sur l'ignorance du Peuple & la douceur de l'Administration !"
Ces femmes font aussi la fortune des médecins qui cherchent la notoriété à travers l'étrangeté. On commence à peine à écrire l'obstétrique, et pour laisser une trace, il faut publier.
Les naissances tardives commencent à interroger le monde médical à la fin du XVIIIème. Peu nombreux sont ceux qui s'opposent à la possibilité de gestations longues, avec plusieurs semaines ou mois de plus. L'impact juridique joue pour beaucoup dans cette « prudence », mais aussi la manière de compter le temps en « lunes ». Doucement la durée de la gestation passe de dix lunes à neuf mois solaires, avec l'équivoque de dix mois solaires possibles…
L'observation fait place aux croyances, les obstétriciens qui sont aussi géniteurs notent les dates de « fecondation », comparent les dates d'accouchement, bref, apprennent de leurs propres enfants ;-)
La femme Leblanc témoigne d'une époque où il est possible de tirer facilement profit des soi-disant étrangetés de la maternité et autres guérisons miraculeuses. Tout le monde est friand de ces histoires extraordinaires, et nous voyons grâce à vous que la presse se fait souvent écho des bizarreries. Lorsque la science de la gestation aura un peu progressé, les hystériques prendront le relai, la recherche médicale s'est aussi construite sur le dos de la misère, et à ce petit jeu tel fut pris qui croyait prendre.
La naïveté des médecins est souvent consternante. Ce médecin qui regarde peu, ne déshabille pas, ne touche pas ou au travers des vêtements.
L'histoire de cette fausse maternité m'en rappelle une autre hallucinante racontée dans le livre de J.Gelis "L'arbre et le fruit". Elle interpella tout le royaume d'Angleterre. Et comme on dirait aujourd'hui... plus c'est gros, mieux ça passe !
Voilà l'histoire :
En 1726,tout début novembre, on apprend à Londres qu'une femme du Surrey accouche de quatre lapins en présence d'un chirurgien, obstétricien depuis trente ans, John Howard. Quelques jours plus tard… trois autres lapins. Le 9 novembre encore trois. Tant et si bien que le roi fait envoyer son chirurgien ! Lorsqu'il arrive sur les lieux, Mary Tofts accouche de son quinzième lapin ! Il interroge la jeune accouchée qui va bien, il l'examine et la délivre d'un nouveau lapin. Elle dit avoir croisé un lapin dans un champ en avril, alors qu'elle était enceinte…
Tout le royaume s'émeut de cette affaire de lapinage à répétition. On envoya deux autres chirurgiens, dont Richard Manningham, le plus grand de son temps, qui flaira l'imposture. Ouf !!!
Manningham isole tout simplement la patiente de son entourage.
Elle ne met pas longtemps à réclamer un lapin au serviteur du médecin, qui illico va raconter l'affaire à son maître.
Emprisonnée, Mary Tofts avoue qu'une femme, dont elle taiera à jamais le nom, lui a conseillé de monter la supercherie pour arrondir ses fins de mois. Celle-ci lui fournissait les lapereaux qu'elle s'introduisait elle-même dans le vagin, entiers ou en morceaux…