Extraits du Portefeuille des Dames

Coup de fusil sur le garde

TRIBUNAL CRIMINEL
Du 14 Brumaire.
Jugement qui condamne René Rioux, du département des Deux-Sèvres, à vingt années de fers, pour avoir tiré un coup de fusil à balle sur un garde-forestier au moment où il entrait dans sa cour, accompagné de l'agent national, pour faire une perquisition de bois volé. La balle avait frappé le jambage de la porte de la cour à l'instant que le garde entrait, et il avait été blessé des éclats de la porte.
Cet homme était un ancien déserteur qui n'avait d'autre métier que d'aller couper des arbres dans les forêts pour en faire des pelles qu'il vendait.

Portefeuille des Dames, n° 6, du 30 brumaire an 8, page 4 du suppl. (AD86, PfD du 1 novembre 1799, v. 56)

La voleuse de chapeau

TRIBUNAL CRIMINEL
Du 15 Brumaire.
Jugement qui condamne une femme de Loudun à quatre années de détention, pour avoir volé un chapeau à une boutique de marchand, en foire. Cette femme avait été acquittée une première fois, à défaut de preuves, pour un délit du même genre ; la prison ne l'avait pas corrigée, l'impunité n'avait fait que l'enhardir à voler une seconde fois.
Portefeuille des Dames, n° 6, du 30 brumaire an 8, page 5 du suppl. (AD86, PfD du 1 novembre 1799, v. 57)

Le prévenu d'incendie : il a eu chaud.

TRIBUNAL CRIMINEL
Du 16 Brumaire.
Jugement qui acquitte un homme de l'accusation d'incendie. Le feu avait été mis dans une meule de fagot pendant la nuit ; les plus fortes présomptions s'élevait contre l'accusé ; mais elles n'ont pas paru suffisantes aux jurés pour condamner un citoyen à mort.
Portefeuille des Dames, n° 6, du 30 brumaire an 8, page 5 du suppl. (AD86, PfD du 1 novembre 1799, v. 57)

Vol de laine

TRIBUNAL CRIMINEL
Du 17 Brumaire.
Jugement qui condamne à une année de détention un homme qui avait volé une balle de laine dans le magasin d'un fabricant. L'accusation portait qu'il y avait eu escalade de la maison par une fenêtre, ce qui emportait peine de mort ; mais le jury ayant déclaré que le fait n'était pas constant, le tribunal n'a prononcé, conformément à la loi, qu'une peine correctionnelle. Portefeuille des Dames, n° 6, du 30 brumaire an 8, page 5 du suppl. (AD86, PfD du 1 novembre 1799, v. 57)

L'ancêtre du photographe

AVIS
Le citoyen Alphonce-Ducélie, peintre en miniature, prévient ses concitoyens qu'il se sert avec succès du physionotrace. Cet instrument réunit à l'agrément d'être très-prompt, celui de fiare une ressemblance parfaite. Une séance de 25 minutes suffit pour faire un portrait de la grandeur d'une miniature ordinaire. Le prix de chaque portrait est, vu la rareté du numéraire, de 24 fr. en trois quarts, et 12 fr. en profil sur ivoire. Le citoyen Alphonce fait aussi toutes sortes de nattes, bagues, tresses et chiffres en cheveux, et vend toutes espèces de médaillons dorés et doubles. Il est logé sur la place d'Armes, à côté du corps-de-garde, chez Rosalie Charanton.
Portefeuille des Dames, n° 6, du 30 brumaire an 8, page 6 du suppl. (AD86, PfD du 1 novembre 1799, v. 58)

Exécution

NOUVELLES
Poitiers. Le 7 (nivôse an 8), ont péri sur l'échafaud cinq hommes qui furent accusés, l'an dernier, d'avoir volé chez une citoyenne veuve Jabin, au lieu de Trois-Fonds, département de la Creuse. Ils ont été condamnés par la commission militaire, en conséquence de la loi du 29 nivôse an 6.
Huit étaient prévenus de ce délit ; c'étaient tous gens domiciliés et propriétaires. Sept avaient été saisis.
Au procès-verbal rédigé par les gendarmes le lendemain du vol, la dame Jabin avait déclaré s'être trouvée mal et ne se rappeler d'aucuns traits des quatre quidams qui s'étaient introduits chez elle, sinon qu'un avait une longue figure.
A l'instruction chez le juge de paix, elle dit en reconnaître un pour être celui qui avait menacé de la brûler. On lui observa qu'elle avait dit avoir vu à l'individu des culottes de peau, et que celui-ci n'en avait jamais porté : la dame Jabin se désista de la reconnaissance. On traduisit devant elle un autre individu, elle ne reconnut point, il fut mis en liberté. Depuis, ses idées confuses se sont éclaircies ; elle a pensé que c'était celui qui l'avait empêchée d'être brûlée : on l'a une seconde fois appréhendé.
A la confrontation chez le capitaine-rapporteur, le même présenté au domestique de la dame Jabin, celui-ci dit ne point le connaître. Il sortit pour se réunir aux autres témoins, parmi lesquels étaient la dame Jabin et sa femme, et rentra sur-le-champ annoncer qu'il le reconnaissait, et que c'était en effet celui qui avait empêché sa maîtresse d'être brûlée.
A la première séance de la commission, au mois de germinal an 7, on confronta les accusés, et les individus indiqués par la dame Jabin et ses domestiques, il résulta cinq reconnus, quoique quatre seulement se fussent introduits dans la maison.
A la deuxième instruction, au mois de frimaire an 8, le domestique et la servante on exercé moins de reconnaissance ; ils sont convenus n'avoir nulle idée de celui-là sur-tout qu'ils avaient dit avoir empêché qu'on ne fit de mal à leur maîtresse ; mais leurs indications furent plus fatales au huitième, celui qui a été capturé entre les deux instructions. La dame Jabin s'acertaine aussi sur le compte de ce dernier, il devient l'homme au chapeau de toile cirée qui avait brisé des armoires ; et celui qui avait été reconnu à ce même chapeau fut déchargé de l'avoir porté, et rentra dans la classe des inconnus. La commission rendit son jugement ; cinq furent frappés, et trois furent heureux.
Les défenseurs officieux se sont empressés d'en appeler ; ils étaient libres de leur conscience en doutant, comme les juges en ne doutant point. La commission de révision a rejeté leurs moyens ; les questions avaient été posées complexes ; le rapporteur avait conclu avant la fin des débats et sur la seule lecture des pièces ; un lieutenant avait siégé en place d'un sergent ; le texte de la loi qui condamne les suppliciés aux frais n'était point rapporté ; le jugement disait bien « sans désemparer », et les défenseurs offraient de prouver que l'on avait désemparé ; ils présentaient d'autres moyens encore. Au bout de quelques instans (sic) de délibération, le jugement a été confirmé à l'unanimité.
Il a fallu aux défenseurs le courage de l'humanité pour résister non-seulement aux fatigues d'une défense qui a duré des nuits, mais encore aux vulgaires propos. La multitude juge promptement, parce qu'elle n'examine pas ; elle aime à condamner, parce qu'il lui faut des spectacles. Dans le canton de ces malheureux, on craignait leur retour, parce que plusieurs personnes avaient été appelés en témoignage, parce que sur-tout la dame Jabin avait varié, puis persisté dans des dépositions capitales. On la plaignait à juste titre, mais on craignait pour elle ; et les défenseurs, en la plaignant, devaient craindre aussi pour leurs cliens (sic). On n'avait rien épargné de ce pays-la pour armer l'opinion contre ces derniers ; mais, eussent-ils été coupables, ne sent-on pas qu'il n'y a nulle proportion du délit à la peine, et que quand la loi est cruelle, il est permis au particulier de faire ce qui dépend de lui pour en empêcher les coup ? Qui pourra reprocher d'avoir défendu celui que l'on prétendit reconnaître en lui disant : « C'est vous qui m'avez sauvé la vie » ? Si on se trompait, il n'était pas coupable ; si on ne se trompait pas, ce malheureux pouvait-il mériter la mort ?
Un de ceux qui ont péri n'avait été indiqué par personne ; il était seulement beau-frère de deux autres sur lesquels on s'était convaincu. (1) Lorsque l'on a vu l'un des accusés reconnu en germinal, méconnu en frimaire, on a pu dire ; « Si on eût jugé en germinal, celui-ci mourait ; il importe d'appeler, car il y a lieu de croire que les reconnaissances varieront encore ; et celui qui dans ce choc incertain serait frappé aujourd'hui, demain sera conservé. » Tel devait être le raisonnement de l'homme avare du sang innocent ; mais ce raisonnement n'a pas été général. On a vu à la révision un des membre dont l'opinion était connue dès la veille, interpeler (sic) sans ménagement un des défenseurs officieux, s'impatienter de ses moyens, lui tenir des propos durs (2) ; et celui-ci, homme écouté au barreau, accoutumé à plaider devant des tribunaux consacrés par une longue considération, lui répliquer modestement : « Citoyen, je ne plaide que la loi. »
On est loin de rien vouloir préjuger contre la commission ; on sait qu'elle a des hommes de mérite : mais il est une vérité, que toutes les commission privent les citoyens de leur juges naturels.
« François 1er, voyant à Marcoussi le tombeau de Montagu (surintendant des finances décapité), dit que c'était dommage qu'un si grand homme fût mort par justice. Un moine de l'endroit lui répondit : "Sire, il ne fut pas condamné par justice, mais par commissaires". Frappé de ces paroles, François 1er jura de ne jamais faire mourir personnes par commission. » - Elémens de l'histoire de France, par Millot, t. 2, p. 198.
(1) Fable de la sauterelle. (2) Il faut être juste, les autres membres se turent.
Portefeuille des Dames, n° 10, du 10 nivôse an 8, page 4 du suppl. (AD86, PfD du 31 décembre 1799, v. 16)