Poitiers le 17 thermidor
L’ouragan de vendredi dernier a présenté des résultats bien effrayants pour les habitans d’un de nos quartiers.
Plusieurs nuages amoncelés ont crevé tout à coup sur les champs qui dominent le faubourg de Montbernage, et ont formé un torrent qui s’est répandu avec impétuosité, en détruisant tout ce qui s’est trouvé sur son passage. Quatre maison de l’extrémité du bourg ont été entrainées ; un homme a disparu sous les ruines de la sienne ; le pavé de la rue a été arraché à plusieurs pieds de profondeur. Tous ces décombres roulaient pêle-mêle avec les meubles et les produits de la récolte, dans cette masse d’eau qui menaçait de tout engloutir, lorsqu’un nouveau désastre est venu augmenter l’alarme générale. De la chaux renfermée dans une grange remplie de grains a été enflammée par l’eau qui y avait pénétré ; le feu était prêt d’incendier les maisons voisines ; mais les secours les plus prompt en ont arrêté les progrès, et le dévouement des habitans de la ville a sauvé le faubourg des suites de cet accident.
Après l’écoulement des eaux, la curiosité publique a voulu contempler leurs funestes ravages. On a vu avec effroi des murs renversés, des arbres arrachés et portés loin du lieu où ils furent plantés ; les maisons que le torrent avait épargnées, remplies de terre, de débris de toute espèce, qui attestaient son passage ; enfin, des cultivateurs qui jouissaient d’une honnête médiocrité, fruit de leur travail, réduits en un instant à la misère et au désespoir.
(Journal de Poitiers, du département de la Vienne n° 125 du 19 thermidor an XIII (mardi 7 août 1804), p. 1-2.
Poitiers le 24 thermidor
Nous allons ajouter à ce que nous avons publié dans le dernier numéro de ce Journal, quelques détails sur l’évènement arrivé le 15 de ce mois au faubourg de Montbernage. Nous les puisons dans le procès-verbal rédigé par les commissaires de police de cette ville, et que l’on a bien voulu nous communiquer. On lit que « dès l’instant que M. le Maire a été prévenu de cet accident, il a donné l’ordre de sonner le tocsin, est allé lui-même prévenir le commandant de la place de faire battre la générale, et est ensuite descendu au lieu dévasté, où il est entré dans l’eau jusqu’à la ceinture, pour porter du secours à ses concitoyens. Son exemple a été suivi par plusieurs habitans de la ville. Le 63e régiment, en garnison en cette ville, y est accouru. Nous avons remarqué, disent les commissaires de police, M. le major, les officiers et les soldats entrer dans l’eau jusqu’à la ceinture, ainsi que le capitaine des pompiers et les pompiers. Ils sont parvenus, par une grande activité, à éteindre le feu, à sauver des flammes les débris des gerbes, et à garantir de l’incendie les maisons voisines. Le torrent de l’eau était si rapide, qu’il entraînait des quartiers de pierre que dix hommes n’auraient pu porter… La nommée Daniau, femme Roux, et trois enfans étaient renfermés dans une chambre mitoyenne de la grange où le feu était pris ; il leur était impossible d’en sortir sans périr, ayant six pieds d’eau dans les appartemens bas et le feu dans le grenier. Les sieurs Lambert fils, ancien militaire, Chardonnière jeune, Orillard fils, Doussaint fils ; les deux enfans du sieur Félix Grimault ; Pierre Marie Mascurie, charron, et Bonneau, tourneur, voyant le danger qui menaçait la mère et les enfans, se sont jetés à la nage à la rive opposée du Clain qu’ils ont traversé, ont franchi le torrent dudit Montbernage, et, à force de travail et de courage, sont parvenus à sauver la mère et les enfans des flammes et de l’eau qui les menaçaient…… Le torrent a été si violent, qu’il a emporté le nommé Antoine Gendrault dit Saint-Antoine, cultivateur, lequel a été trouvé noyé et couvert de quatre à cinq pieds de sable et de terre, dans un jardin bas. Il a aussi entraîné un enfant du nommé Joseph Deforges……Ce torrent impétueux a occasionné de si grandes pertes, qu’il nous est impossible d’en faire l’énumération….. »
(Journal de Poitiers, du département de la Vienne n° 126 du 26 thermidor an XIII (mardi 14 août 1804), p. 2-3.