A côté d'une grand-mère poitevine - dont les travaux de l'équipe autour d'Emmanuel Dion m'ont permis de retrouver une ascendance dans le "peuple de la forêt" - je compte parmi mes ascendants côté paternel une aieule du nom de Magdalena Elisabeth Fleischbein.
Le patronyme est même Fleischbein von Kleeberg, les frères Fleischbein ayant été admis, deux générations auparavant, dans la société patricienne dite du Frauenstein, de Francfort/Main.
Et anoblis - en 1665 - pour services rendus, tant comme acteurs économiques - une branche de la famille est un des principaux piliers du commerce avec Venise - que comme citoyens engagés, la famille donne ses meilleurs juristes au conseil de la ville, dont l'un ou l'autre devient bourgmestre.

C'est le cas d'ailleurs du père de Magdalena, Philipp Nikolaus, titulaire d'un sérieux bagage juridique, avocat , membre du conseil de la ville en 1683 et maire en 1690. Un notable!

 



Il compte parmi ses collègues un juriste de grand renom, qu'une longue carrière a vu successivement professeur à l'université d'Altdorf, consultant pour la ville de Nuremberg et longtemps professeur de droit à Heidelberg, avant que les ravages infligés à cette ville par les troupes de Mélac ne le conduisent à accepter le poste de syndic de la ville de Francfort, en quelque sorte comme responsable de toutes ses affaires juridiques.
Un gros bonnet que ce Johan Wolfgang Textor, dont le père se nommait Weber avant de latiniser son patronyme, comme cela se pratiquait souvent à l'époque.
Il a 55 ans, est veuf depuis peu, avec quatre enfants au moins adolescents, il a déjà un petit fils, johann Wolfgang junior, dont nous reparlerons.
Sans qu'on sache exactement comment ils se sont connus, le gros bonnet épouse en 1693 la soeur de Magdalena (et fille de son collègue Fleischbein). Maria Sibylla n'a que 18 ans.
Le mariage ne tient qu'environ six mois. En 1694 Maria Sibylla quitte le domicile conjugal, le divorce est prononcé l'année suivante, les motifs invoqués restent discrets sur la raison réelle, les familles ne semblent pas enclines à faire trop de battages au sujet du bref épisode.

N'était que le "vieux" se refuse à règler la moindre des dépenses engagées par son éphémère épouse.
Et il y en a eu!
D'après les relevés présentés par les quinze créanciers principaux, la jeune mariée a fait mettre en compte en quelques six mois pas moins de 600.000 francs (de l'an 2000!) de fournitures diverses, allant des huitres pour Noel (six florins 45 kreutzer) à diverses confiseries, nombre de colifichets, broches, rubans, et ceci pas seulement pour elle-même, mais pour l'ensemble de la maisonnée, par exemple avec une robe de chambre pour son époux ou des fourrures pour sa belle-fille.

Ce qui n'empêche pas le vieux de persister dans son refus et d'engager une bataille juridique.
Les procès seront menés jusque devant la tribunal de la chambre d'Empire, les pièces présentées par les plaideurs, équivalents à nos tickets de caisse de supermarché et toutes conservées, fournissent un précieux aperçu des "consommations" engagées par une maison de la haute bourgeoisie allemande à l'aube du XVIIIème siécle.
Mais ce qui nous intéresse, c'est que figure parmi les créanciers, qui, regroupés, combattent d'instance en instance, un certain Friedrich Goethge. Il s'est formé aux tissus et à leur coupe à Lyon, qu'il semble avoir quitté après la révocation de l'édit de Nantes. Monsieur Goethé - avec un accent aigu à la française pour bien marquer qu'il vient de la capitale des soieries et beaux tissus - est depuis son installation à Francfort l'un des couturiers les plus en vue de la ville.
Le ménage Textor lui est redevable d'environ 30.000 francs.
Il n'en mourra pas de faim, parce qu'il épouse peu après une héritière, investit dans la restauration hôtelière et fait fortune comme aubergiste.
Son plus jeune fils et héritier, Johann Caspar, juriste de formation, en sera dispensé de s'épuiser au travail, et comme il n'a plus besoin de l'accent aigu sur son patronyme pour se consacrer à ses violons d'Ingres, il l'écrit simplement Goethe.
En 1748 il épouse une certaine Catharina Elisabeth... Textor.
Elle est la fille de Johann Wolfgang Textor junior, et l'arrière petite-fille du "vieux".
Leur fils, Johann Wolfgang Goethe, est le plus connu des écrivains allemands.

Mon arrière grande tante, Maria Sibylla, dont on ignore d'ailleurs ce qu'elle est devenue après son divorce, n'a bien entendu rien à voir dans sa généalogie.
Mais il n'est pas interdit de se demander si... s'il n'y avait pas eu un procès retentissant portant sur ses prétendues dépenses indûes que son ex-époux refusait de régler ...les deux familles se seraient-elles connues?
Formulé autrement: Sans Maria Sibylla, y aurait-il eu un Goethe?